Tel, comme dit Merlin, cuide engeigner autrui,
Qui souvent s’engeigne soi-même.
J’ai regret que ce mot soit trop vieux aujourd’hui :
Il m’a toujours semblé d’une énergie extrême.
Mais afin d’en venir au dessein que j’ai pris,
Un rat plein d’embonpoint, gras, et des mieux nourris,
Et qui ne connaissait l’Avent ni le Carême,
Sur le bord d’un marais égayait ses esprits.
Une Grenouille approche, et lui dit en sa langue :
Venez me voir chez moi, je vous ferai festin.
Messire Rat promit soudain :
Il n’était pas besoin de plus longue harangue.
Elle allégua pourtant les délices du bain,
La curiosité, le plaisir du voyage,
Cent raretés à voir le long du marécage :
Un jour il conterait à ses petits-enfants
Les beautés de ces lieux, les moeurs des habitants,
Et le gouvernement de la chose publique
Aquatique.
Un point sans plus tenait le galand empêché :
Il nageait quelque peu ; mais il fallait de l’aide.
La Grenouille à cela trouve un très bon remède :
Le Rat fut à son pied par la patte attaché ;
Un brinc de jonc en fit l’affaire.
Dans le marais entrés, notre bonne commère
S’efforce de tirer son hôte au fond de l’eau,
Contre le droit des gens, contre la foi jurée ;
Prétend qu’elle en fera gorge-chaude et curée ;
(C’était, à son avis, un excellent morceau).
Déjà dans son esprit la galande le croque.
Il atteste les Dieux ; la perfide s’en moque.
Il résiste ; elle tire. En ce combat nouveau,
Un Milan qui dans l’air planait, faisait la ronde,
Voit d’en haut le pauvret se débattant sur l’onde.
Il fond dessus, l’enlève, et, par même moyen
La Grenouille et le lien.
Tout en fut ; tant et si bien,
Que de cette double proie
L’oiseau se donne au coeur joie,
Ayant de cette façon
A souper chair et poisson.
La ruse la mieux ourdie
Peut nuire à son inventeur ;
Et souvent la perfidie
Retourne sur son auteur.
Autre analyse:
Analyses de Chamfort – 1796.
V. 7. , . . . L’avent ni le carême, n’avaient que faire là.
V. 13. Elle allégua pourtant les délices du bain.
La Fontaine n’évite rien autant que d’être sec. Voilà pourquoi il ajoute ces vers qui sont charmants , quoiqu’il put s’en dispenser après avoir dit : Il n’était pas besoin de plus longue harangue. (La Grenouille et le Rat)
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
(1) Comme dit Merlin. Le Merlin dont il est ici question, n’est point du tout le célèbre enchanteur de l’Arioste ; comme le prétend M.Coste, qui renvoie savamment son lecteur au Dictionnaire de Moréry. C’est Merlin Coccaie ( Folengo) , l’auteur de l’Histoire Macaronique. Voici ses propres termes :
Vidimus experti quod quisquis fallere cercat Deceptum tandem se cernit tempore quoquo.
( Macaron. X. p. 228. éd. Vénit., i58i.)
lesquels se trouvent traduits ainsi dans la version de 1606: «Nous avons souvent expérimenté que qui cherche à tromper autrui, est, avec le temps, trompé lui-même (pag. 337. ) ». Pour conserver la physionomie de l’original, La Fontaine a emprunté des expressions antiques, à moins qu’il ne les ait prises d’une autre version qui nous est inconnue»
(2) Guide engeigner autrui,
Qui souvent s’engeigne lui-même. On lit dans un vieux manuscrit anonyme :
Vers vos dame Cui cuidoie engignier….Lire la suite