Pañchatantra ou fables de Bidpai
XXI. — La Grue, le Serpent, l’Ecrevisse et l’Ichneumon
Il y avait dans un endroit d’une forêt un figuier sur lequel étaient beaucoup de grues. Dans un creux de cet arbre habitait un serpent noir. Ce serpent passait toujours son temps à dévorer les petits des grues, avant même qu’ils eussent des ailes. Or une grue qui avait vu sa progéniture dévorée par lui, affligée de la perte de ses petits, était venue sur le bord d’un étang et restait là les yeux pleins de larmes et la face baissée. Une écrevisse la vit dans cette position, et lui dit : Mon amie, pourquoi pleures-tu ainsi aujourd’hui ? — Ma chère, répondit la grue, que ferai-je ? Je suis malheureuse. Mes petits et mes parents ont été dévorés par un serpent, qui habite dans le creux d’un figuier. Affligée de ce malheur, je pleure. Dis-moi donc s’il y a quelque moyen de faire mourir ce serpent.
Lorsque l’écrevisse eut entendu cela, elle pensa : Cette grue est pourtant un ennemi naturel de ma race. Aussi je donnerai un conseil vrai et faux, de telle sorte que les autres grues aussi périssent. Et l’on dit :
En montrant une voix douce comme le beurre frais et un cœur sans pitié, on conseille si bien un ennemi qu’il meurt avec sa race.
Puis elle dit : Mon amie, si c’est ainsi, jette donc des morceaux de chair de poisson depuis l’entrée du trou d’un ichneumon jusqu’au creux d’arbre du serpent, afin que l’ichneumon aille par ce chemin et fasse mourir ce méchant serpent. Après que cela fut fait, l’ichneumon suivit les morceaux de chair de poisson, tua le serpent noir et dévora aussi peu à peu toutes les grues qui demeuraient sur l’arbre.
Voilà pourquoi nous disons :
Que le sage considère le moyen de réussir, et qu’il considère aussi le préjudice. Sous les yeux d’une sotte grue un ichneumon tua des grues.
Ce Pâpabouddhi a donc pensé au moyen de réussir, et non au préjudice ; aussi c’est là le fruit qu’il a obtenu. Voilà pourquoi je dis :
Dharmabouddbi et Koubouddhi me sont tous deux connus : le fils, par son savoir inutile, fit tuer le père an moyen de la fumée.
De même, fou, toi aussi tu as pensé au moyen de réussir et non au préjudice. Tu n’es donc pas honnête. Tu es en cela absolument comme Pâpabouddhi. J’ai appris à te connaître par cela même que tu as mis en danger la vie du maître. Tu as manifesté de toi-même ta méchanceté et ta fourberie. Et certes on dit ceci avec raison :
Même en se donnant de la peine, qui verrait l’endroit par lequel les paons rendent leur nourriture, si, égayés par le bruit des nuages, ces fous ne dansaient pas ?
Puisque tu mets le maître même dans cette situation, quel égard auras-tu donc pour quelqu’un de ma sorte ? Pour cette raison tu ne dois pas rester près de moi. Et l’on dit :
Là où des rats mangent une balance d’un mille de fer, un faucon enlèverait un éléphant ; s’il a enlevé un enfant, qu’y a-t-il en cela d’étonnant ?
Comment cela ? dit Damanaka. Karataka raconta :
“La Grue, le Serpent, l’Ecrevisse et l’Ichneumon”
- Pantchatantra 21