ou que voulez-vous qu’elle fit contre trois ?
Certain canard, des plus voraces,
Rencontre un jour une loche d’étang,
Et aussitôt il la pourchasse,
Alléché par un morceau si friand.
Il tient déjà sa proie, il la lâche, il l’agace,
Un moment même en chantant ses can-can,
Il la laisse échapper, puis enfin la reprend;
Et comme c’est le propre de sa race,
Il l’avale d’un trait et aussitôt la rend.
« Comment, dit le canard, te voilà revenue,
Toi que j’ai avalée! Ai-je donc la berlue…
Ou bien t’es-tu jouée de moi? »
Et il l’avale encore une seconde fois.
Mais la loche, semblable à la locomotive, ‘
Le traverse comme un tunnel
Au sortir duquel fraîche et vive
Elle reparaît sous le ciel.
Si bien que le canard digère,
Il ne peut pas digérer cet affront,
Et ressaisit avec colère
Le pauvre petit poisson ;
Contre lui sa furie éclate
En coups de bec, en coups de pattes,
Pour le réduire, et le réduire à la mort!
Et dans cet état il l’avale encore.
A peine il se retourne, ô chose surprenante !
Il revoit la loche, et encore vivante!
Alors il arriva, de l’autre bord de l’eau,
Deux coquins de canards au secours de leur frère.
Formant une alliance entr’eux ils avisèrent
Que la loche serait coupée en trois morceaux.
Et que chacun de ces dignes compères
En avalerait un. Si encore cette fois
La loche en réchappait… ce serait bien le diable!
Voilà pourquoi le titre de la fable Porte :
Que vouliez-vous qu’elle fit contre trois?
La Loche et le Canard, Morawski.