David Claude
Fabuliste contemporain – La Mésange et Le Moineau
En cet instant, une mésange trouve une carcasse ;
Quelques asticots y rampent encore.
Elle patiente un peu, refait une passe,
Se pose et, un à un, les picore.
Alerte, elle voit au loin une nuée d’oiseaux.
« Fichtre ! s’exclame-t-elle, maudits moineaux ! »
A peine l’a-t-elle dit que, de la troupe,
Se détachent trois piafs : l’un d’eux, sur la croupe
Du mort se campe ; les autres se postent sur un arbre.
N’étant pas d’une nature aimable,
La mésange reste de marbre
Devant leur état pitoyable
Et, sous leurs regards malheureux,
En vorace, elle gobe les vers juteux.
« Vous auriez pu être charitable
Et partager quelques mets de votre table,
Même seulement avec mes petits
Que vous voyez fort amaigris
En ce début d’automne !
N’est-ce pas là l’une des règles de la faune ?
– M’imaginez-vous oiseau asservi
Comme ceux gardés par les hommes ? fait la mésange.
Non ! Premier arrivé, premier servi !
Je trouve donc je mange,
Même si cela vous dérange. »
Sur ces mots, le passereau avaricieux
Reprend la route des cieux.
Maintenant, la neige s’est installée et force
Les oiseaux à se cloîtrer dans le houx
Ou sous les toits, et l’on s’efforce
Sans succès à trouver à manger. Un redoux,
Pourtant, étonne cette nature en souffrance
Et lui accorde une courte espérance.
Ainsi, père et fils moineaux
Découvrent en ce renouveau
Quelques monticules dégelés de terreau,
Garnis de vermisseaux.
La mésange radine
Apparaît, montre sa trombine.
Tandis que les trois oiseaux gobent à la chaîne,
Elle s’avance pour manger, toujours hautaine,
Comme si elle eût été reine de ce domaine.
Mais les moineaux, emplis de haine,
Ne la laissent pas faire : le père la pique
Avec son bec, les fils empêchent son envol.
« Vous m’attaquez, moi si faible et famélique,
Pourquoi ? dit-elle. Je ne commets aucun vol !
C’est à tous, c’est la loi. »
On lui rappelle ses mots, son chacun pour soi.
Elle feint l’ignorance,
Réclame la clémence.
Le père moineau, comme donnant sa sentence,
Répète à la mésange sa malveillance.
« A l’été de la Saint-Martin,
N’est-ce point ce que vous me disiez ?
N’est-ce point les paroles que vous usiez
Pour nous laisser à un triste destin ?
Entendez cette leçon aujourd’hui
De la part de celui à qui vous avez nui.
Comme vous survécûtes aux autres hivers
Grâce à votre égoïste adage,
Je vous livre le mien : A chacun ses vers… »
Qui point ne partage,
Ne peut attendre des autres davantage !
David Claude