La Mouche et la Fourmi contestaient de leur prix.
« O Jupiter! dit la première,
Faut-il que l’amour propre aveugle les esprits
D’une si terrible manière,
Qu’un vil et rampant animal
A la fille de l’air ose se dire égal !
Je hante les Palais, je m’assieds à ta table :
Si l’on t’immole un boeuf, j’en goûte devant toi ;
Pendant que celle-ci, chétive et misérable,
Vit trois jours d’un fétu qu’elle a traîné chez soi.
Mais, ma mignonne, dites-moi,
Vous campez-vous jamais sur la tête d’un Roi
D’un Empereur, ou d’une Belle ?
Je le fais ; et je baise un beau sein quand je veux ;
Je me joue entre des cheveux ;
Je rehausse d’un teint la blancheur naturelle ;
Et la dernière main que met à sa beauté
Une femme allant en conquête,
C’est un ajustement des Mouches emprunté.
Puis allez-moi rompre la tête
De vos greniers. – Avez-vous dit ?
Lui répliqua la ménagère.
Vous hantez les Palais ; mais on vous y maudit.
Et quant à goûter la première
De ce qu’on sert devant les Dieux,
Croyez-vous qu’il en vaille mieux ?
Si vous entrez partout, aussi font les profanes.
Sur la tête des Rois et sur celle des Anes
Vous allez vous planter ; je n’en disconviens pas ;
Et je sais que d’un prompt trépas
Cette importunité bien souvent est punie.
Certain ajustement, dites-vous, rend jolie.
J’en conviens : il est noir ainsi que vous et moi.
Je veux qu’il ait nom Mouche : est-ce un sujet pourquoi
Vous fassiez sonner vos mérites ?
Nomme-t-on pas aussi Mouches les parasites ?
Cessez donc de tenir un langage si vain :
N’ayez plus ces hautes pensées.
Les Mouches de cour sont chassées ;
Les Mouchards sont pendus ; et vous mourrez de faim,
De froid, de langueur, de misère,
Quand Phébus régnera sur un autre hémisphère.
Alors je jouirai du fruit de mes travaux.
Je n’irai, par monts ni par vaux,
M’exposer au vent, à la pluie ;
Je vivrai sans mélancolie.
Le soin que j’aurai pris de soin m’exemptera.
Je vous enseignerai par là
Ce que c’est qu’une fausse ou véritable gloire.
Adieu : je perds le temps : laissez-moi travailler ;
Ni mon grenier, ni mon armoire
Ne se remplit à babiller. »
Autres analyses:
- La Mouche et la Fourmi commentaires et analyses de MNS Guillon
- La Mouche et la Fourmi, analyse littéraire par Clodomir Rouzé
Analyses de Chamfort – 1796.
Le commencement de cette fable est charmant. L’indignation de la fourmi contre l’illusion de l’amour-propre , et l’aveuglement de la fourmi qui se compare à elle, peint merveilleusement le délire de la vanité; mais La Fontaine a eu tort d’ajouter
V. 17. Et la dernière main que met à sa beauté
Une femme allant en conquête,
C’est un ajustement des mouches emprunté.
D’abord ajustement n’est pas le mot propre. Ensuite le petit ornement s’appelle mouche en français , et autrement dans une autre langue. Cependant ce jeu de mots est plus supportable que tous ceux qui se trouvent dans la réponse de la fourmi.
V. 39. Les mouches de cour sont chassées :
Les mouchards sont pendus, etc.
Ce sont de mauvais quolibets qui déparent beaucoup cette fable , dont le commencement est parfait. On se passerait bien aussi du grenier et de l’armoire des deux derniers vers. (La Mouche et la Fourmi)
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
(5) Pendant que celle-ci. Elle ne daigne seulement pas rappeler par son nom, ni fixer les yeux sur elle. (La Mouche et la Fourmi)
(6) Vit trois jours d’un fétu qu’elle a traîné chez soi. Pas un. mot oiseux. Fit d’un fétu. Quelle proportion d’un fétu à un bœuf! Trois jours. Il faut être bien misérable pour se condamner à tant d’économie. Qu’elle a traîné. Traîner ne convient qu’à une mercenaire gagnant sa vie à la sueur de son front. Chez soi. Et quel chez soi? des greniers ! Le chez soi de la Mouche, ce sont les palais, c’est la table même de Jupiter.
(7) Mais, ma mignone. C’est le ton insultant de la protection. (8) Avez-vous dit ? Cette réplique de la Fourmi laisse voir toute
la patience qu’elle a à écouter. Sa réponse est un petit chef-d’œuvre de précision, de dialectique et de véritable éloquence…lire la suite
La Mouche et la Fourmi, analyse littéraire par Clodomir Rouzé
Dans l’apologue qui est intitulé « Le chêne et le roseau », la Fontaine avait opposé à l’orgueil et à la commisération dédaigneuse d’un grand personnage l’humilité et la noble fierté d’un homme simple et modeste, que sa condition met à l’abri de ces coups inattendus qui frappent et renversent les fortunes en apparence les mieux établies.
Dans celte fable, le chêne est allier : mais du moins il a quelque raison de se glorifier de sa force, puisqu’il est le plus robuste et le plus beau des arbres de nos contrées; son orgueil est fondé sur des avantages réels. Au contraire, dans l’apologue que nous allons analyser, la mouche se vante de mérites purement imaginaires. La supériorité qu’elle prétend avoir sur la fourmi est tout à fait contestable. Aussi, tandis que le langage du chêne, tout orgueilleux qu’il est, ne s’écarte jamais des convenances qui s’imposent à un grand personnage, la mouche parle la langue des gens vaniteux et grossiers, et ne ménage pas à la fourmi les épithètes malsonnantes. Autant le discours du chêne est élevé, sublime môme, par exemple dans ces vers :
Cependant que mon front au Caucase pareil
Non content d’arrêter les rayons du soleil
Brave l’effort de la tempête
Autant le langage de la mouche est bas et trivial.
L’exposition tient tout entière dans le premier vers :… Lire la suite