Une Ourse avait un petit Ours qui venait de naître. Il était horriblement laid. On ne reconnaissait en lui aucune figure d’animal: c’était une masse informe et hideuse. L’Ourse, toute honteuse d’avoir un tel fils, va trouver sa voisine la Corneille, qui faisait grand bruit par son caquet sous un arbre : « Que ferai-je, lui dit-elle, ma bonne commère, de ce petit monstre? J’ai envie de l’étrangler. — Gardez-vous en bien, dit la causeuse, j’ai vu d’autres Ourses dans le même embarras que vous. Allez, léchez doucement votre fils; il sera bientôt joli, mignon et propre à vous faire honneur. »La mère crut facilement ce qu’on lui disait en laveur de son fils. Elle eut la patience de le lécher longtemps. Enfin il commença à devenir moins difforme, et elle alla remercier la Corneille en ces termes : « Si vous n’eussiez modéré mon impatience, j’aurais cruellement déchiré mon fils, qui fait maintenant tout le plaisir de ma vie. »
Oh ! que l’impatience empêche de biens et cause de maux !
- Fénelon 1651 – 1715