Étienne Fumars
Poète et fabuliste XVIIIº – La Sottise
Un peu plus, un peu moins, qui de nous n’est pas sot ?
Nous prêtons tous à la plaisanterie.
Chacun mit un billet à cette loterie,
Et chaque billet eut son lot.
Je croirais volontiers que la bonne nature,
Pour ses enfants craignant l’ennui,
Ne vit, pour l’écarter, de manière plus sûre
Que de nous rendre tous plaisants aux yeux d’autrui.
J’ai lu jadis ce trait qu’on va croire une fable.
Dans un salon brillant, ouvert sur un jardin,
Des convives de cour entouraient une table.
On y riait pourtant : que ne peut le bon vin ?
Tout à coup par la peur une femme emportée
S’élance, crie et vole, et tombe épouvantée
Dans le bosquet le plus lointain.
Un homme, à qui la peur trouble aussi la cervelle,
Renverse tout, la suit et va tomber près d’elle.
Tandis qu’on les cherchait en vain,
Que de par-tout on les appelle,
Un peu remis de leur effroi :
— Allons, madame, dites-moi,
Était-elle bien noire ? — Affreuse.
— Et de quelle grosseur ? – Ah ! monsieur, monstrueuse.
Monsieur, monsieur, je me meurs, la voilà !
Pardon, c’est une feuille. — Oh ! de ces frayeurs-là
Si vous allez me faire encore,
Dans ce lieu l’on m’enterrera.
— Pardon ! je crois toujours la voir qui me dévore ;
Quelles ailes ! — La peur lui trouble le cerveau :
Des ailes, dites-vous ? — Qu’a cela de nouveau ?
J’en étais tout environnée.
Non, je n’ai jamais vu telle chauve-souris !
— Quoi ! ce n’est point une araignée ?
— Une araignée ? allons, aurais-je fait ces cris ?
C’est par frayeur qu’ainsi vous vous êtes mépris.
Il vous faudrait vraiment renvoyer à l’école.
— Allez, madame, allez : vous n’êtes qu’une folle.
Je cours de votre peur amuser nos plaisants.
— Et moi, broder la vôtre : on en rira long-temps !
Étienne Fumars, La Sottise