Pañchatantra ou fables de Bidpai
3e. Livre – XIII. — La Souris métamorphosée en Fille
Sur le bord du Gange, qui a de gros flots d’écume blanche produite par les allées et venues des poissons effrayés d’entendre le bruit de l’eau se heurtant contre la surface d’âpres rochers, il y a un lieu d’ermitages plein d’ascètes qui se consacrent entièrement à la pratique des œuvres de la prière, des austérités, de la pénitence, de l’étude des Védas, du jeûne et de la méditation ; qui ne veulent prendre qu’un peu d’eau pure, qui mortifient leur corps en mangeant des raves, des fruits, du saivala, et n’ont pour vêtement qu’un pagne fait d’écorce. Là, était un chef de famille, nommé Yâdjnavalkya. Il s’était baigné dans la Djâhnavî et commençait à se rincer la bouche, lorsqu’une souris, échappée du bec d’un faucon, lui tomba dans la paume de la main. Quand il la vit, il la mit sur une feuille de figuier, se baigna de nouveau, se rinça la bouche, accomplit la cérémonie d’expiation et autres actes purificatoires, fit de la souris une fille par la puissance de ses austérités, regagna avec elle son ermitage, et dit à sa femme, qui n’avait pas d’enfant : Ma chère, prends cette fille qui t’est née et élève-la avec soin. Puis la fille fut élevée, choyée et soignée par la femme de l’ascète jusqu’à ce qu’elle eût douze ans. Lorsque celle-ci la vit bonne à marier, elle dit à son mari : Ô mari ! ne vois-tu pas que le temps de marier notre fille est passé ? — Bien parlé ! répondit celui-ci. Et l’on dit :
Les femmes sont d’abord possédées par les dieux Soma, les Gandharvas et Agni ; les hommes les possèdent après : c’est pour cela qu’elles sont sans tache.
Soma leur a donné l’éclat ; les Gandharvas, une parole douce ; Agni, une pureté complète : c’est pour cela que les femmes sont exemptes de souillure.
Quand elle n’a pas encore ses règles, la jeune fille est gaurî quand elle a ses règles, elle est rohinî ; quand elle n’a pas les signes de puberté et pas de seins, elle est nagnikâ.
Mais lorsque les signes de puberté sont venus, Soma possède la jeune fille ; les Gandharvas sont dans ses seins, et Agni, dans ses règles.
En conséquence, que l’on marie la jeune fille dès qu’elle a ses règles ; et quand la jeune fille a huit ans, le mariage est recommandé.
Les signes de puberté d’abord, puis les seins et aussi le plaisir de l’amour font perdre les mondes désirés, et la menstruation lue le père.
Mais dès que la jeune fille a ses règles, il lui est permis de prendre qui elle veut ; en conséquence, qu’on la marie avant qu’elle ait ses règles, a dit Manou Swayambhouva.
La jeune fille qui voit ses règles dans la maison de son père, sans être mariée, est une fille non mariable et abjecte, qu’on appelle vrichalî.
Un père doit prendre une résolution et donner à des supérieurs, à des égaux ou à des inférieurs une fille qui a ses règles, afin de ne pas être en faute.
Par conséquent, je la donnerai à un égal et non à un autre. Et l’on dit :
Entre deux personnes dont la richesse est égale, entre deux personnes dont la race est égale, il peut y avoir mariage et amitié, mais pas entre fort et faible
Et ainsi :
Famille, moralité, existence d’un protecteur, savoir, fortune, beauté et âge, après avoir considéré ces sept qualités les sages doivent donner leur fille ; il ne faut pas s’inquiéter du reste.
Si donc cela lui plaît, alors j’appellerai le vénérable soleil et je la lui donnerai. — Quel mal y a-t-il à cela ? dit la femme ; fais-le. Puis l’ascète appela le soleil. Par la puissance de l’invocation au moyen des formules mystiques des Védas, le soleil vint à l’instant même et dit : Vénérable, pourquoi m’appelles-tu ? L’ascète répondit : Voici ma fille ; si elle te choisit, épouse-la donc. Après avoir ainsi parlé, il dit à sa fille : Ma fille, ce vénérable soleil, qui éclaire les trois mondes, te plaît-il ? — Mon père, répondit la fille, il est trop brûlant ; je n’en veux pas. Appelle donc quelque autre être plus éminent que lui. Lorsque l’ascète eut entendu ces paroles de sa fille, il dit au soleil : Vénérable, y a-t-il quelqu’un de supérieur à toi ? Le soleil répondit : Le nuage est supérieur à moi, car, couvert par lui, je deviens invisible. Puis l’ascète appela aussi le nuage, et dit à sa fille : Ma fille, je vais te donner à celui-ci. — Il est noir et froid, répondit-elle. Donne-moi donc à quelque autre être plus grand que lui. Puis l’ascète demanda aussi au nuage : Hé, hé, nuage ! y a-t-il quelqu’un de supérieur à toi ? Le nuage répondit : Le vent est supérieur à moi. Battu par le vent, je m’en vais en mille morceaux. Après que l’ascète eut entendu cela, il appela le vent, et dit : Ma fille, le vent que voici paraît être ce qu’il y a de mieux pour être ton mari. — Mon père, répondit-elle, il est trop variable. Fais donc venir quelqu’un de supérieur à lui. L’ascète dit : Vent, y a-t-il quelqu’un de supérieur à toi ? Le vent répondit : Le mont est supérieur à moi ; car, tout fort que je suis, il m’arrête et me retient Puis l’ascète appela le mont, et dit à sa fille : Ma fille, je vais te donner à celui-ci. — Mon père, répondit-elle, il est dur et roide. Donne-moi donc à un autre. L’ascète demanda au mont : Hé, roi des montagnes ! y a-t-il quelqu’un de supérieur à toi ? Le mont répondit : Les rats sont supérieurs à moi, eux qui par la force déchirent mon corps. Ensuite l’ascète appela un rat, le montra à sa fille, et dit : Ma fille, je vais te donner à celui-ci. Ce roi des rats te plaît-il ? Mais elle, quand elle le vit, pensa : Celui-là est de mon espèce, et, les poils du corps hérissés de joie, elle dit : Mon père, fais-moi souris et donne-moi à lui, afin que je remplisse les devoirs de maison prescrits pour mon espèce. Puis l’ascète, par la puissance de ses austérités, la fit souris et la donna au rat.
Voilà pourquoi je dis :
Après avoir refusé pour époux le soleil, le nuage, le vent, le mont, une souris retourna à son espèce : il est difficile de dépasser son espèce.
Mais, sans tenir aucun compte des paroles de Raktâkcha, ils emmenèrent Sthiradjîvin à leur forteresse pour la perte de leur race, et, pendant qu’on le conduisait, Sthiradjîvin rit en lui-même et pensa :
Celui qui, conseillant le bien de son maître, a dit : Qu’on le tue celui-là seul entre tous ceux d’ici connaît le véritable objet de la science de la politique.
Ainsi, s’ils avaient fait ce qu’il a dit, il ne leur arriverait pas le moindre mal.
Puis, lorsqu’on fut arrivé à la porte de la forteresse, Arimardana dit : Hé, hé ! donnez à ce Sthiradjîvin, qui nous veut du bien, une place comme il la désire. Quand Sthiradjîvin entendit cela, il pensa : Il faut pourtant que je médite un moyen de les faire périr. Ce moyen, je ne puis le trouver si je reste au milieu d’eux, car ils épieront attentivement mes gestes, et cetera. Par conséquent je demeurerai à la porte de la forteresse, et j’accomplirai mon dessein. Après avoir pris cette résolution, il dit au roi des hiboux : Majesté, ce que le roi a dit est bien ; mais moi aussi je connais la politique, et je vous suis affectionné. Quoique je vous aime et que je sois honnête, il n’est cependant pas convenable que je demeure au milieu de la forteresse. Ainsi je resterai ici à la porte de la forteresse, et, purifiant mon corps avec la poussière de vos pieds pareils au lotus, je vous rendrai chaque jour mes hommages. Il lui fut répondu oui, et tous les jours les serviteurs du roi des hiboux préparèrent des aliments comme ils voulurent, et, par ordre du roi des hiboux, donnèrent pour nourriture à Sthiradjîvin d’excellente viande. Puis en quelques jours il devint fort comme un paon. Mais lorsque Raktâkcha vit que l’on nourrissait Sthiradjîvin, il fut surpris et dit aux ministres et au roi : Ah ! les ministres sont fous, et vous aussi : c’est ma conviction. Et l’on dit :
D’abord moi seulement j’ai été fou, en second feu l’oiseleur, puis le roi et le ministre : vraiment, tout un tas de fous.
Comment cela ? dirent ceux-ci. Raktâkcha raconta :
“La Souris métamorphosée en Fille”
- Panchatantra 42