On m’a conté qu’une Souris,
À tête folle et vagabonde,
Lasse de vivre en son pays,
Résolut de courir le monde.
Près des flots était son logis.
Un jour, voyant de sa fenêtre,
Je voulais dire de son trou,
Maint et maint vaisseau disparaître
Et s’en aller je ne sais où,
Dans un des ballots que l’on charge
Cette friponne se blottit,
Grimpe au navire, et prend le large.
Adieu sa case ! adieu son lit !
Mais elle, en dépit des orages,
Malgré les roulis et le vent,
Faisait route, se réservant
D’observer les pays, les peuples, leurs usages,
Et de venir après raconter ses voyages ;
Le sage Ulysse en fit autant.
L’Argo qui portait l’héroïne
A Madère touche d’abord,
Double le Cap d’Afrique ; et puis, virant de bord
Dans la mer des Indes chemine,
Explore le Bengale et visite maint port,
Maint comptoir, vend, brocante, achète ;
Et retourne au lieu du départ.
Plus de danger, plus de tempête.
Notre Souris, d’un air gaillard,
Débarque enfin ; vers ses pénates
Elle se dirige sans retard
Et n’a pas assez de ses pattes
Pour embrasser ses sœurs, qui toutes accouraient
Pour entendre ses aventures.
Les curieuses l’entouraient,
Et ne revenaient pas des brillantes peintures
Qu’elle leur faisait à plaisir.
Ayant fini son odyssée,
Une d’elles lui dit : « Vous contez à ravir,
Et m’avez fort intéressée.
Mais dans tous ces pays, il n’est donc point de chats
— Que dites-vous ? ma sœur ; cette race ennemie
Fourmille dans tous les climats.
— Eh ! comment osiez-vous, ma mie,
Sur la grève vous présenter ?
— En personne prudente et sage,
Dans un trou du vaisseau j’eus soin de me gîter,
Et n’en sortis jamais.
Je tiens de l’équipage
Ce que je viens de raconter.»
Ainsi fait maint conteur d’histoires,
Qui voyage sans voir, d’aucun fait n’est témoin,
Et sur la foi d’autrui compose ses mémoires.
A beau mentir qui vient de loin.
“La Souris voyageuse “