Nicette a trois amants ; d’abord un gentillâtre,
Ensuite un vavasseur et puis un soldoyer.
La jeune villageoise, et maligne et folâtre,
Les accueille tous trois pour se désennuyer.
Le premier vante sa noblesse
Qui remonte au temps des Hébreux ;
Il se reproche sa faiblesse ;
Mais comme il est fort amoureux,
Il jure à l’objet de sa flamme,
Par saint George et par saint Denis,
Qu’elle deviendra grande dame ;
Et, quand leurs nœuds seront bénis,
Elle aura son banc à l’église,
Où ses compagnes, du hameau
Contempleront, avec surprise,
Celle qui gardait un troupeau
Dans un bon fauteuil bien assise,
Et portant plumes au chapeau.
Le riche vavasseur de son côté lui vante
Ses vignobles, ses prés, ses fermes, ses brebis.
Elle aura des bijoux, un carcan de rubis,
Et la robe en velours que l’aiguille savante
Doit broder en or fin et doubler de tabis.
Le brave soldoyer de son coté hasarde
Quelques aveux bien doux, mais peut-être indiscrets,
Car il ne peut offrir à ses piquants attraits
Que son cœur et sa hallebarde.
S’il n’a ni ferme, ni moisson,
Il l’aimera du moins de toute sa puissance,
Et tous les ans, de sa façon,
À sa future épouse il promet un garçon ;
Et ce bonheur vaut mieux que l’or et la naissance.
Comme il parlait, Nicette en tapinois
D’un œil furtif l’observe, l’envisage,
Et la rougeur de son joli minois
Pour le galant est d’un heureux présage.
Depuis six mois elle a passé vingt ans ;
De ses destins elle seule dispose :
Pour le bonheur il faut si peu de chose ;
Et le soldat, à peine en son printemps,
Dans quelque guerre ou voisine ou lointaine
Ne peut-il pas devenir capitaine !
Un tel espoir a décidé son choix,
Et par serment bientôt elle s’engage
A contracter avec lui mariage.
Or, vous saurez qu’au milieu d’un grand bois
Qui dominait le clocher du village,
Était assis un modeste hermitage.
De ce réduit le nouveau possesseur,
Rassasié des délices mondaines,
Pour expier ses antiques fredaines,
Toutes les nuits se donnait la douceur
De flageller, dans son remords extrême,
Un corps maigri par trente ans de carême.
De la fillette il était confesseur,
Et par sa main, chaste et purifiée,
Cette union sera sanctifiée.
Le jour est pris : mais comment échapper
A deux rivaux qui surveillent sans cesse
La jeune fille, objet de leur tendresse ?
Par quels détours peut-elle les tromper ?
L’amour, dit-on, est plus fin que le diable,
Et de sa part tout prodige est croyable.
Or, pour tirer Nicette du souci,
Il lui souffla la ruse que voici :
Au châtelain d’abord elle s’adresse.
«Depuis long-temps vous me dites,
Seigneur, «Que de m’aimer vous me faites l’honneur,
«Et que le feu qui consume votre ame,
«Vous détermine à me prendre pour femme.
«De tant d’amour, je doute encore un peu,
«Et j’ai besoin de le mettre à l’épreuve. »
«—Qu’exigez-vous ? quel effort ? quelle preuve ?
«Mais hâtez-vous, car je suis tout de feu. »
«—Dès que l’horloge aura sonné dix coups,
«D’un drap bien blanc ce soir affublez-vous,
«Et bravement, au prochain cimetière,
«Promenez-vous durant la nuit entière.
«Au jour naissant vous quitterez ces lieux,
Et vous viendrez me rejoindre au plus vite
«Dans la chapelle où notre saint hermite
«Au nom du ciel nous bénira tous deux. »
Le châtelain y consent et la quitte.
Au vavasseur elle s’adresse ensuite,
Et lui promet que dès le lendemain
Il obtiendra son cœur avec sa main
Si, dès qu’aura sonné la douzième heure,
D’un drap couvert sortant de sa demeure,
Au cimetière et tout près de la croix,
Jusqu’au matin il va casser des noix
Dont il aura la poche bien fournie,
Et sans cela point de cérémonie.
Le vavasseur, fort poltron de son fait,
D’un tel désir semble peu satisfait.
Nicette voit une laide grimace
Désordonner les muscles de sa face.
Mais deux beaux yeux, un sourire charmant,
Au pauvre hère extournent son-serment.
Il cède et part, non sans faire la moue.
Contente alors du bon tour qu’elle joue
Aux deux rivaux, avec le soldoyer,
A leurs dépens Nice va s’égayer.
Mais la nuit vient : sitôt que de l’église
La vieille horloge a retenti dix fois,
Ainsi qu’un preux gardant la foi promise,
Le châtelain se signe des cinq doigts,
Et tout couvert, pour gagner sa conquête,
D’un blanc linceul, des pieds jusqu’à la tête,
Marche à son poste, et là rêve à loisir
Au mariage, objet de son désir.
Le vavasseur, sitôt que minuit sonne,
Fort mécontent de quitter sa maison,
Entre ses dents marmotte une oraison,
Et tout son corps d’épouvante frisonne ;
Puis vers le champ du deuil et du trépas,
Le malheureux s’avance à petits pas,
Bientôt pénètre en la funèbre enceinte ;
En tâtonnant y cherche la croix sainte,
Près de laquelle il doit, tant bien que mal,
Remplir un ordre à son repos fatal.
Or, jamais nuit plus épaisse et plus sombre
N’enveloppa le hameau de son ombre.
Le vavasseur, cédant à son destin,
Casse une noix, puis deux, puis trois, enfin
Moins tremblottant songe au prix plein de charmes
Qui doit payer ses nocturnes alarmes.
Mais tout-à-coup un tonnerre lointain.
Se fait entendre, et, par degrés, l’orage
S’accroît, s’approche, et déployant sa rage,
Avec fracas roule au milieu des airs.
A la lueur que versent les éclairs,
Dans cet enclos funéraire et terrible,
Le vavasseur voit un fantôme horrible,
Pâle, immobile, et dont les yeux hagards
Semblent sur lui jeter d’affreux regards.
Vous devinez sans un effort extrême
Que ce fantôme est le noble lui-même.
Lequel aussi, tremblant de son côté
Au bruit des noix, qu’avec dextérité,
Entre ses dents, pour achever sa tâche,
Le vavasseur cassait sans nul relâche,
Croyait entendre, en ces funèbres lieux,
Les os des morts craquer à qui mieux mieux.
Qu’on juge un peu de la terreur profonde
De ces messieurs ; à les voir tous les deux,
On les dirait sortis de l’autre monde
Pour s’effrayer de leur aspect hideux.
Ce n’est là tout : la tempête bruyante
Avec fureur faisait tomber sur eux
Des flots de grêle et des flots pluvieux.
Au même endroit, fixé comme une plante,
Chacun des deux craignait de respirer,
Et d’un froid vif se sentait pénétrer.
Enfin l’orage apaise sa colère ;
D’un faible jour la campagne s’éclaire,
Et moins tremblants, mais pâles et glacés.
L’un près de l’autre ils se sont avancés.
Ah ! si Callot de son pinceau grotesque,
M’avait fait don, de leur stupeur burlesque,
Quand ils se sont reconnus tous les deux,
Je ferais part à nos derniers neveux.
«Quoi ! Monseigneur, je puis le croire à peine ;
«De ce linceul, quoi ? Vous, enveloppé !…..»
« —Hélas ! c’est moi, rompu, moulu, trempé.
«Vous-même ici, quel sujet vous amène ?»
« —Ma confiance en un discours trompeur.
«Convenez-en, je vous ai fait grand’peur. »
« — Quoi ! vous osez me railler en personne,
«Vilain. » — Joués par la même friponne,
«Entendons-nous du moins pour nous venger. »
«—Soit, j’y consens. » Je vous laisse à juger
A quel excès de dépit et de rage
Les a poussés un si cruel outrage ;
Et sans retard, se tenant par la main,
De la chapelle ils ont pris le chemin.
Durant ce temps l’hermite plein de zèle
Dans son réduit avait tout préparé,
Afin d’unir, par un lien sacré,
Le soldoyer avec la jouvencelle.
Agenouillés aux marches de l’autel
Ils sont bénis suivant le rituel,
Lorsque soudain accourent, hors d’haleine,
Le vavasseur et son rival titré.
Le mariage est déjà célébré ;
Ils ont perdu leurs veilles et leur peine.
D’un tel affront à bon droit mécontents,
Et trop exacts à tenir leur promesse,
Les malheureux entrent assez à temps
Pour signer l’acte et pour servir la messe.
“La Villageoise”