Chauffant sa paresse au soleil,
Un petit lézard sans malice
Dormait sur un vieux mur son paisible sommeil.
Mais le sort lui gardait un terrible supplice;
Car un enfant passait — cet âge aime le mal —
Qui, voyant endormi l’imprudent animal,
Le saisit prestement, et, fier de sa conquête :
« Ah! je te tiens, méchante bête,
Ne cherche pas d’asile aux fentes de ton mur;
Tu seras sous cloche, en lieu sûr…
Pourtant tu n’auras pas une existence rude,
Car, dans ton étroit cabanon,
Pour adoucir ta servitude,
Je te réserve un compagnon.»
Ce fut une abeille étourdie
Qui, par la rosée alourdie,
Vint tomber juste sous la main
De notre triomphant gamin.
Voici donc enfermés le lézard et l’abeille :
L’enfant ravi les regarde un instant.
La nouveauté, c’est la merveille,
Mais elle paraît déjà vieille,
Quand un plaisir nouveau près de là nous attend.
A peine est-il parti, qu’une fureur guerrière
Pousse nos deux captifs à des combats affreux,
L’un et l’autre touchait à son heure dernière,
Et la fatalité planait déjà sur eux.
Devons-nous raconter ces crimes?
L’abeille, entre les dents cruelles du lézard,
Distille en expirant le venin de son dard.
Et le soleil couchant éclaira deux victimes.
La sotte engeance, direz-vous,
Qui, dans le dur cachot dont l’ombre les enserre,
Au lieu de s’entr’aider, se perdent par la guerre!
Mais les humains sont-ils pas aussi fous?
N’est-ce pas un cachot que cette infime terre,
Où nous enferme un dieu jaloux?
Si nos espoirs sont grands, nos forces sont petites,
L’espace et l’avenir ne nous sont pas permis,
Et nul ne peut franchir les étroites limites
De ce grain de poussière où le sort nous a mis.
Et pourtant, ô mortels ignares !
Nains, qui prenez dans les cieux éclatants
Si peu de place avec si peu de temps,
Vous vous usez en massacres barbares.
Misère, maladie et mort
S’acharnent sur vous sans relâche,
Et vous semblez n’avoir pas d’autre tâche
Que d’enrichir les cruautés du sort.
Comptez le sang, comptez les larmes
Qu’ont fait répandre vainement,
Pour des colères d’un moment,
Vos haines, vos luttes, vos armes…
Eh bien, soit, poursuivez ; qu’importe au firmament ?
Nos douleurs ne font rien à l’éclat de l’aurore!
Nos deuils ne troublent pas l’azur!
Sang et larmes, coulez, coulez, coulez encore,
Le ciel n’en sera pas moins pur.
“L’Abeille et le Lézard”