Un aigle avait dans son aire un aiglon de fort bon appétit. Les lièvres de la forêt, les agneaux du voisinage, les poules des fermes du canton lui fournissaient depuis long-temps le pain et la pitance. Sa mère, habile chasseresse, le tenait bien approvisionné. Mais quand il fut de certaine taille, et qu’elle jugea, avec les lumières bien sûres de l’instinct, que son aiglon pouvait se soutenir sur ses ailes, elle l’engagea à sortir et à s’exercer à voler. L’oiseau nonchalant goûtait peu cette exhortation, trouvant plus agréable de vivre de la chasse de sa mère. A force d’importunité elle le tira pourtant quelquefois de son aire ; mais quand elle voulut l’engager à chasser, à fondre sur la proie avec cette rapidité qui égale celle de la foudre, et qui atteint toujours le gibier, l’aiglon n’ayant pas les ailes assez fortes, se refusait à cet exercice, et vivait toujours de ce que sa mère avait pris. Mais enfin vint le temps marqué par la nature, où la mère ne reconnut plus son fils. (Ceci arrive à tous les animaux, aussitôt que leurs petits peuvent fournir eux-mêmes à leurs besoins ; et l’homme seul conserve les doux sentiments de la parenté.) Que devient alors l’aiglon ? Sachant à peine voler, encore moins chasser et se procurer le nécessaire, il mourut de faim dans le lieu même où l’abondance avait autrefois nourri sa paresse.
“L’Aigle et l’Aiglon”