Par un soleil d’été , l’aigle , le roi des airs ,
Pour jouir d’un beau tems , sous la voûte azurée
Planait aux régions d’où partent les éclairs.
Enfin lassé des cieux , bientôt de l’empyrée
L’oiseau de Jupiter descend,
Et pour se reposer, soit faveur , soit malice,
Auprès d’un four à blé s’abat sur un auvent
Le siège pour un roi n’était pas très brillant.
Peut-être aussi fût-ce un caprice ,
( Pour être souverain , on n’en est pas exempt, )
Ou bien ne trouva-t-il dans tout le voisinage
Ni chênes élevés , ni rochers de granit ,
Plus dignes de son rang que l’auvent d’un, village.
J’ignore enfin ce qu’il eut dans l’esprit ;
Mais il y fit courte séance ,
Et sur un autre auvent l’aigle va se poster.
Une poule le voit, et vite en confidence ,
Chez la poule voisine elle en va caqueter :
-Ma commère, entre nous, dis-moi donc, je te prie
Soit dit pourtant sans jalousie,
Ce n’est pas mon défaut, je puis le protester ;
De l’aigle conçois-tu d’où vient la renommée ?
Serait-ce pour son vol ? ma foi ! sans me vanter,
D’en faire autant que lui je suis accoutumée,
Et d’auvent en auvent je puis bien voleter.
Voisine, désormais n’ayons plus la folie
Aux aigles d’accorder plus de gloire qu’à nous ;
Et qu’ont-ils donc de plus ? Tu le vois, ils n’ont tous,
N’en déplaise à la flatterie,
Que deux pattes, deux yeux. Ces aigles si jaloux,
Que sans raison l’on croit jetés en d’autres moules,
Volent aussi bas que les poules. –
— Tu peux avoir raison, pourtant pas tout-à-fait,
Répond l’aigle ennuyé de si plats commérages ;
L’aigle plus bas que tous peut voler en effet ;
Mais les poules jamais n’atteindront aux nuages,
O toi, qui du talent implacable censeur,
Perds le tems et compter les défauts du génie,
Connais-en la beauté, la force , l’ énergie,
Et sache en tous les points mesurer sa hauteur.
“L’Aigle et les Poules”