Loin, lecteurs dont la critique
Souffle le chaud et le froid,
Qui répandez sur tout une bile caustique,
Sans distinguer ni le tort, ni le droit.
Toute perfection chez vous s’appelle vice.
Est-on sublime ? On est guindé.
Est-on simple ? On est bas. Tout art est artifice,
Et tout ce qui plaît est fardé.
Si je hazarde quelque conte,
Qui vous semble un peu fort de sens,
Eh quoi ! Direz-vous, quelle honte
De proposer ces traits à des enfans !
Mais, s’il vous plaît, la fable est-elle l’ennemie
Du profond et du fin, quand il vient à propos ?
La prenez-vous pour une mie,
Qui ne sçait rien qu’endormir des marmots ?
Bien-tôt vous allez vous dédire
Au premier trait commun que j’oserai rimer.
N’est-ce qu’à des enfans qu’il veut se faire lire ?
C’est bien la peine d’imprimer.
C’est ainsi que chaque rencontre
Vous voit changer de mesure et de poids ;
Disant blanc ou noir ; pour ou contre ;
Vous contredisant mille fois
Pour vous sauver d’approuver une.
Eh bien, n’approuvez pas ; qui veut vous y forcer ?
Pour moi, me remettant du tout à la fortune.
J’irai mon train sans m’en embarrasser.
J’avertis seulement d’avance,
Que je me propose en effet
D’instruire et d’amuser l’enfance ;
Mais sans oublier l’homme fait.
Je voudrois qu’en mes vers tout âge pût apprendre ;
J’imagine et j’écris pour tous.
Laissez à vos enfans ce qu’ils en pourront prendre ;
Et gardez le reste pour vous.
La mort fille du temps, et l’enfant de Paphos,
Jadis, comme aujourd’hui, voyageoient par le monde.
Tous deux l’arc à la main, le carquois sur le dos,
Ils faisoient ensemble leur ronde.
Jupiter vouloit que l’amour
Blessant les jeunes cœurs, mit des humains au jour ;
Et que la mort frappant la vieillesse imbécile,
Délivrât l’univers d’une charge inutile.
C’étoit là l’ordre ; et tout devoit aller
Selon ce plan que semble exiger l’âge.
Gloto, disoit l’amour, aura de quoi filer ;
Nous lui taillerons de l’ouvrage ;
Et moi, disoit la mort, je m’en vais occuper
Sa sœur Atropos à couper :
Qu’elle ait de bons cizeaux, pour moi j’ai bon courage.
Nos voyageurs, au coin d’un bois,
Se reposant un jour fatigués du voyage,
Ils mettent bas et l’arc et le carquois,
Confondent tout leur équipage ;
Et quand il faut partir, le reprennent sans choix.
De l’enfant le squelete avoit pris maintes flèches ;
L’amour parmi ses traits mêla ceux de la mort.
L’une au cœur des vieillards fit d’amoureuses brèches ;
L’autre des jeunes gens alla trancher le sort.
Jupiter rit de la méprise,
Et n’y mit de remède en rien :
Il pensa que de leur sotise
Il pouvoit naître quelque bien.
Si notre espéce en effet étoit sage,
Depuis ce troc nous craindrions,
Malgré la force ou la langueur de l’âge,
Et la mort et les passions.
Sans ce danger que je soûtiens propice,
Dans la vigueur des ans, ou bien sur leur déclin,
Le vice n’auroit point de frein,
Et la vertu point d’exercice.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, L’Amour et la Mort.