Bernard Le Bouyer de Fontenelle
Dans l’âge d’or que l’on nous vante tant,
Où l’on aimoit sans lois et sans contrainte,
On croit qu’Amour eut un règne éclatant :
C’est une erreur ; il fut si peu content,
Qu’à Jupiter il porta cette plainte.
J’ai des sujets, mais ils sont trop soumis.
Dit-il, je règne, et je n’ai point de gloire,
J’aimerois mieux dompter des ennemis.
Je ne veux plus d’empire sans victoire.
A ce discours Jupin rêve, et produit
L’austère honneur, épouvantail des Belles,
Rival d’Amour, et chef de ses rebelles
Qui peut beaucoup avec un peu de bruit.
L’enfant mutin le considère en face,
De près, de loin ; et puis faisant un saut ;
Père des Dieux , dit-il, je te rends grâce,
Tu m’as fait là le monstre qu’il me faut.
Envoi
Jeune beauté, vous que rien ne surmonte,
Je ne dis pas, vous m’aimerez un jour ;
Mais après tout, ceci n’est point un conte,
L’honneur fut fait pour l’honneur de l’Amour.
“L’Amour et l’Honneur”
Bernard Le Bouyer de Fontenelle – 1657 – 1757