Abel Fabre
Abbé, instituteur et fabuliste XIXº – L’Âne chargé d’Or
Un âne chargé d’or longeait une muraille
Et rongeait, tout en cheminant,
Une mince botte de paille.
Quatre soldats, un vieux manant,
L’escortaient comme on suit un drapeau de bataille,
Éloignant avec soin les mains de la canaille.
Pour le pays étrange honneur !
Pourtant, sauf un banquier, un notaire, un docteur.
Un ministre, un seigneur avare,
On n’aperçut aucun voleur,
Aujourd’hui cette espèce est rare.
L’harpagon seul les aborda
Et poliment leur demanda
Pourquoi semblable nourriture
Était donnée à la monture ?
« De la paille, bon Dieu ! mais un simple mâtin
En a-t-il moins chaque matin?
N’est-il donc plus de cœur dans l’homme,
Pour traiter de la sorte une bête de somme ?
Un baudet charge d’or forcé de vivre en gueux
Est le pire des malheureux. »
Le rustre connaissant le seigneur pince-maille,
Lui dit : « Vous déplorez le destin du grison,
Y songez-vous ? Plaignez maître Harpagon,
Qui, chargé d’or, se prive encor de paille.
Abel Fabre