Constant Dombre
Poète et fabuliste XIXº – L’âne et le cheval
Les sots sont un peuple nombreux,
Trouvant toutes choses faciles.
Un Âne se disait : Mon état me déplaît ;
Je travaille beaucoup pour manger peu de chose ;
Si je ne fais moi-même une métamorphose,
Nul n’aura pitié du baudet.
L’aube m’éclaire à peine à travers ce grillage,
Que notre brutal jardinier,
M’affublant d’un double panier,
M’écrase sous le poids de son vil jardinage ;
Et puis : trotte au marché !…..Que j’aille bien ou mal,
Le bâton noueux tombe et me rompt les oreilles ;
Je ferais, je crois, des merveilles,
Que je serais toujours le plus sot animal ;
Tandis qu’a mes côtés, dans leur vaste écurie,
Les chevaux bien nourris, richement rehaussés
Par l’éclat des harnais, quelquefois caressés
Par une main blanche et jolie,
Coulent paisiblement la plus aimable vie.
Un attelage est, je crois, incomplet :
Le sort semble m’offrir cette place vacante ;
Avant qu’un autre se présente, Prenons-la.
Cela dit, l’ambitieux baudet
Se range au râtelier, et déjà fonctionne
Dans l’emploi nouveau qu’il se donne.
L’avoine, le foin et le son
Éprouvent tour à tour les effets de son zèle,
Quand un brillant Cheval de selle :
— Que fais-tu donc là, vieux grison ?
— Ce que vous faites tous : je mange et me repose.
— Jusque-là, c’est bien ! mais, dis-moi,
Crois-tu qu’en notre noble emploi
De nous on n’attend autre chose ?
Voici bientôt les fêtes de Longchamps :
Iras-tu, tout poudreux de tes travaux des champs,
A notre jeune maître offrir ton encolure ?
Ornera-t-il tes flancs de deux légers brancards,
Ou, pour caracoler le long des boulevards,
— Je ne sais : sur cela , moi, je n’ai nul souci ;
Mais ce qui m’accommode ici
C’est la bonne litière, et votre nourriture.
Chez nous souvent n’en est-il pas ainsi ?
À défaut de talent on a beaucoup d’audace ;
On brigue avec ardeur les emplois : on obtient.
Oh ! toujours la place convient :
Convient-on toujours à la place ?
L’âne et le cheval par Constant Dombre, de Marmande.
Recueil de l’Académie des jeux floraux -J.-M. Douladoure, Toulouse,1847