Pierre – Joseph Charrin
Chansonnier et fabuliste XVIIIº – L’âne et le dindon
Un grison des mieux faits, jeune, fort amoureux
D’une Ânesse du voisinage,
S’étudiait au doux langage,
Épiait le moment de déclarer ses feux.
Au loin il la voit apparaître
Et s’apprête à chanter la romance champêtre,
Que par cœur il apprit, non sans peine vraiment !
Un braiment commence l’aubade.
Il s’approche et demande une tendre accolade
A la bourrique objet charmant
Qui lui résiste faiblement.
Le séducteur, de l’entrevue
Ainsi que l’Ânesse est content.
Le couple rue
Et de la rue
Interdit l’usage aux piétons.
Le plus fortuné des Grisons,
Pour exprimer sa joie entonne
Un chant
Maussade, assourdissant ;
Enfle sa voix et s’époumone
A tel point, que chaque passant
Le frappe pour le faire taire.
Que peuvent les clameurs, les injures, les coups ?
Plus fort, plus faux encore il continue à braire,
Tant ses accents lui semblent doux.
Cette ignoble cacophonie,
Le croira-t-on ? Chose inouïe !
Eut un approbateur pourtant
Et chatouilla délicieusement
D’un amateur les deux oreilles.
Vous pensez qu’elles sont pareilles
A celles de notre Âne ?… Non !
Le dilettante est un Dindon.
Dès que le Baryton
A fini sa partie,
Tout extasié de plaisir,
Le bipède emplumé lui crie :
« D’honneur, tu chantes à ravir.
» C’est en vain que je m’étudie
» A t’imiter, je n’y puis réussir ;
» Écoute !… (Le Dindon solfie.)
» — C’est très-mauvais, il en faut convenir.»
» — Mais avec tes leçons je pourrais parvenir
» De m’en donner je te supplie !»
» — Viens les prendre dans l’écurie ;
» Je te consacrerai mes moments de loisir.»
» — Merci, crois au respect que ton talent m’inspire.
Un sot trouve toujours un plus sot qui l’admire.
Pierre –Joseph Charrin