Ne méprisons pas les petits,
Car souvent, dans leur humble sphère,
Ils valent bien ceux qui se croient sortis
De la cuisse du Dieu qui porte le tonnerre.
Un père gourmandait son fils, jeune écolier
Plein de zèle pour ne rien faire,
Et qui, dans les jardins de l’école primaire,
N’avait pas su cueillir le plus petit laurier.
« Rien ne percera donc l’épaisseur de ton crâne
Disait-il; « les écus que tes soins m’ont coûtés
» Par la fenêtre ont donc été jetés?…
» Tu ne seras jamais qu’un âne! »
Tandis qu’il maugréait, certain baudet l’entend :
« Monsieur, je ne suis pas, dit-il, très-compétent;
» Mais, de bonne foi, cependant,
» Ne nous jugez-vous pas avec peu de justice?
» Notre nom sert d’injure! ah! la belle malice!
» Qui nous empêcherait, si nous étions méchants,
» D’appeler — Hommes — nos enfants?
» Que nous manque-t-il donc pour avoir votre estime
» Supportant dignement le sort le plus infime,
» D’une sobriété qui fait honte aux humains,
Battus, privés de soins, d’étrille, de litière,
Surmenés, pataugeant dans les mauvais chemins,
» Pendant notre existence entière
» Nous subissons gaîment nos sévères destins.
» On nous voit, sans orgueil ainsi que sans faiblesse,
» Porter, d’un pas égal et d’un cœur détaché,
Les châtelaines à la messe Et les légumes au marché.
Voit-on pas vos enfants, impitoyable engeance,
Sur nos reins complaisants chevaucher sans danger
» En nous les confiant, vous avez l’assurance
» Que tout sentiment de vengeance
» A nos âmes est étranger.
» Allez, méprisez-nous, c’est fort bien! mais, en somme,
» Nous vous valons, Monsieur, soit dit en bon français,
» Et peut-être avec peine on trouverait un homme
» Qui pût être âne avec succès ! »
(L’Ane et le père d’un Ecolier)