Que ton destin me fait envie ,
Disait l’âne un jour au mouton ;
Tranquille en cette prairie ,
Dans l’herbe jusqu’au menton ,
Sans soin, sans inquiétude ,
Tandis que soir et matin ,
Dans ma triste servitude,
Je porte les sacs au moulin.
Quoique chargé de farine ,
Souvent un maigre chardon ,
Que chemin faisant je butine ,
Me fait plier sous le bâton.
Le mouton , bon , humain, fut sensible à sa peine ,
Et dit : « Pauvre Martin, vas, plains aussi mon sort !
Demain , pelé , tondu , dépouillé de ma laine ,
Nous sommes tous soumis à la loi du plus fort ;
Je l’éprouve ; et bien loin de te porter envie ,
Mon malheureux destin a droit de le toucher
Hélas ! ma pauvre mère hier perdit la vie !
Las ! je l’ai vu livrer au couteau du boucher. »
Vit-on jamais sur la machine ronde
Un seul content de son état ?
Je l’ignore ; et celui qu’on croit heureux au monde
Prouverait le contraire en bon certificat.
“L’Ane et le Mouton”