Ne forçons point notre talent,
Nous ne ferions rien avec grâce :
Jamais un lourdaud, quoi qu’il fasse,
Ne saurait passer pour galant.
Peu de gens, que le Ciel chérit et gratifie,
Ont le don d’agréer infus avec la vie.
C’est un point qu’il leur faut laisser,
Et ne pas ressembler à l’Âne de la Fable,
Qui pour se rendre plus aimable
Et plus cher à son maître, alla le caresser.
« Comment ? disait-il en son âme,
Ce Chien, parce qu’il est mignon,
Vivra de pair à compagnon
Avec Monsieur, avec Madame ;
Et j’aurai des coups de bâton ?
Que fait-il ? il donne la patte ;
Puis aussitôt il est baisé :
S’il en faut faire autant afin que l’on me flatte,
Cela n’est pas bien malaisé. »
Dans cette admirable pensée,
Voyant son Maître en joie, il s’en vient lourdement,
Lève une corne toute usée,
La lui porte au menton fort amoureusement,
Non sans accompagner, pour plus grand ornement,
De son chant gracieux cette action hardie.
« Oh ! oh ! quelle caresse ! et quelle mélodie !
Dit le Maître aussitôt. Holà, Martin bâton! »
Martin bâton accourt ; l’Ane change de ton.
Ainsi finit la comédie.
Autre analyse:
Analyses de Chamfort – 1796.
Jolie fable, parfaitement écrite d’un bout à l’autre ; la seule négligence qu’on puisse lui reprocher est là rime toute usée , qui rime avec pensée. (L’Âne et le petit Chien)
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
(1) Ne forçons point notre talent. On connoît le vers d’Horace : Tu nihil invitâ facies dicesve Minervâ.
Tome I. (Art.poèt ,vers 384.)
(2) Peu de gens que le ciel, etc. Autre imitation du poète Virgile :
Pauci quos aequus amavit
Jupiter, etc.
(AEneid.Liv. VI. vera 129. )
(3) Ont le don d’agréer infus avec la vie. Agréer , être agréable.
Dans son Prologue au Dauphin, il avoit dit;
Et si de t’agréer je n’emporte le prix. Infus ne se dit plus au singulier ; on dit : la science , la grâce infuse.
(4) Holà ! Martin-bâton! La Fontaine en empruntant cette ex pression,l’a corrigée. Rabelais en fait le bâton même ( Pantagr. L. III. ch. 12. t. III. p. 66. ). Elle est ici appliquée au valet qui l’emploie. Régnier s’en est servi après Rabelais (Sat. X. v. II3); et M. l’abbé Aubert, après tous ces écrivains ( Fable de l’Ane rêvant). (L’Ane et le petit Chien)