Etudes et analyses des fables de La Fontaine, L’Ane et le Petit Chien, Louis Moland,1872.
Fable V. L’Ane et le Petit Chien. Esope 216, 293.— Ugobardi Sulmonensis, 17.
Dans la fable latine d’Alexandre Neckam, la moralité que La Fontaine a mise en tête de sa fable est exprimée dans ce distique:
Fabula nostra docct cunctis non cuncta licere,
Et debere modum quemque tenere suum.
Cet apologue est bien raconté dans l’Ysopet de 1333 : voici les réflexions de messire Bernard l’archiprêtre; c’était alors, comme on l’a déjà vu plusieurs fois, le surnom de l’âne :
Li asnes à la pesant teste
Si vit et regarda la fcste
Que à son soigneur fait le chien…
« Je suis, dit-il, plus profitable
Et par mon dos fais plus de prou (de profit)
Que le chien ne fait par son jeu.
S’il a par son jeu plus de grâce
Que je, pour chose que je fasse,
Qui jour et nuit céans travaille,
Il me plaît à jouer, sans faille (sans mentir).
La conclusion est la même :
Chascun en sa vocation
Se tiengne sans présomption.
Une fable analogue se trouve dans les Avadânas :
” Au commencement des Kalpas, il y avait un roi appelé Svaranandi. Une fois, un hibou vint se poser sur le toit du palais.
Il aperçut un perroquet qui jouissait de l’amitié et de la faveur du roi, et lui demanda d’où lui venait ce bonheur :
” Dans l’origine, répondit-il, lorsque je fus admis dans le palais,
je fis entendre une voix plaintive d’une douceur extrême; le roi me prit en amitié et me combla de bontés. Il me plaçait constamment à ses côtés et me mit un collier de perles de cinq couleurs. »
« En entendant ces paroles, le hibou conçut une vive jalousie. Eh bien, dit-il après un moment de réflexion, je veux absolu-ment chanter aussi, pour plaire encore plus que Votre Seigneurie. Il faudra bien que le roi me comble, à mon tour, d’amitiés et de faveurs. »
« Au moment où le roi venait de se livrer au sommeil, le hibou fit entendre sa voix. Le roi s’éveilla tout effaré, et, par reflet de la terreur, tous les poils de son corps se hérissèrent.
« Quel est ce cri? demanda-t-il à ses serviteurs; j’en suis tout ému et bouleversé. — Sire, répondirent-ils, il vient d’un oiseau dont le cri est odieux; on l’appelle Oulouka (un hibou). »
« Sur-le-champ, le roi, exaspéré, envoya de différents côtés une multitude de gens pour chercher l’oiseau. Les serviteurs eurent bientôt pris et apporté au roi le coupable volatile. Le roi ordonna de plumer le hibou tout vivant, de sorte qu’il éprouva de cuisantes douleurs et se sauva sur ses pattes. Quand il fut revenu dans la plaine, tous les oiseaux lui dirent : « Qui est-ce qui vous a mis dans ce piteux état? » Le hibou, qui était gonflé de colère, se garda bien de s’accuser lui-même : « Mes amis, dit-il, c’est un perroquet qui est l’unique cause de mon malheur. »
« Le Bouddha dit à cette occasion : « Le châtiment du hibou est venu de sa propre sottise; mais au lieu de s’en prendre à lui-même, il a tourné sa colère contre le perroquet. »
Dans cette fable, la leçon va plus loin que dans la fable ésopique : « N’accusez pas les autres des malheurs qui vous arrivent par votre faute. »