Pañchatantra ou fables de Bidpai
4e. Livre – VIII. — L’Âne vêtu de la peau d’un Tigre
Dans un endroit habitait un teinturier nommé Souddha-pata. Il avait un âne, qui, par manque d’herbe, était devenu très-maigre. Or le teinturier, en se promenant dans la forêt, vil un tigre mort, et il pensa : Ah ! c’est une bonne chose qui arrive. Avec cette peau de tigre, je couvrirai mon âne, et je le lâcherai la nuit dans les champs d’orge, afin que les gardes des champs qui demeurent dans le voisinage le prennent pour un tigre et ne le chassent pas. Après que cela fut fait, l’âne mangea de l’orge comme il voulut. Le matin, le teinturier le ramenait à sa demeure. De cette façon, avec le temps, l’âne devint gras, et on avait de la peine à le conduire à l’endroit où on l’attachait. Mais un jour qu’il était en rut, il entendit de loin le cri d’une ânesse. Pour avoir seulement entendu ce cri, il se mit lui-même à crier; puis les gardes des champs reconnurent que c’était un âne vêtu d’une peau de tigre, et le tuèrent à coups de bâtons, de flèches et de pierres. Voilà pourquoi je dis :
Quoique gardé avec le plus grand secret et montrant un corps effrayant, un âne vêtu d’une peau de tigre fut tué pour avoir poussé un cri.
Or, pendant que le crocodile parlait ainsi avec le singe, un animal aquatique vint et lui dit : Hé, crocodile ! comme tu tardais à revenir, ta femme, qui s’était mise à jeûner, est morte accablée d’amour. Après avoir entendu ces paroles semblables à un coup de foudre, le crocodile eut le cœur très-troublé et se lamenta ainsi : Ah ! que m’est-il arrivé là, malheureux que je suis ! Et l’on dit :
Celui qui n’a pas dans sa maison une mère et une femme aimable doit aller dans la forêt; sa maison est comme une forêt.
Ainsi donc, ami, pardonne la faute que j’ai commise envers toi. Maintenant, puisque je suis séparé de ma femme, je vais entrer dans le feu. Lorsque le singe entendit cela, il dit en riant : Hé ! je te connaissais déjà, je savais que tu étais l’esclave d’une femme et que tu étais maîtrisé par une femme; à présent j’en ai la certitude. Ainsi, imbécile ! alors même qu’un bonheur t’arrive, tu tombes dans l’affliction. Quand une pareille femme est morte, il convient de faire une fête. Car on dit :
Une femme d’un caractère méchant et toujours querelleuse doit être reconnue par les sages pour une horrible râkchas sous la forme d’une femme.
Par conséquent, que celui qui désire son propre bonheur mette tous ses soins à fuir jusqu’au nom même de toutes les femmes ici-bas.
Ce qu’elles ont en dedans n’est pas sur leur langue; ce qui est sur leur langue ne vient pas au dehors; ce qui est au dehors, elles ne le font pas : les femmes ont une manière d’agir variée.
Quels sont ceux qui ne périssent pas, quand par ignorance ils s’approchent d’une belle aux fortes hanches, comme les sauterelles, de la lumière d’une lampe ?
En effet, elles sont tout poison à l’intérieur, et à l’extérieur elles sont charmantes : les femmes, par leur nature, ressemblent au fruit du goundjâ.
On a beau les frapper avec le bâton, les couper en morceaux avec les épées, on ne soumet les femmes ni par les présents ni par l’amitié.
Arrêtons-nous cependant; qu’est-il besoin de citer ici une autre méchanceté des femmes ? Elles tuent par colère le fils même qu’elles ont porté dans leur sein.
Un sot verrait la bonté de l’affection dans une petite fille méchante, une grande douceur dans celle qui est cruelle, et le sentiment dans celle qui n’a pas de sentiment.
Hé, ami ! dit le crocodile, c’est vrai. Mais que dois-je faire ? Voilà deux maux qui m’arrivent : l’un est la ruine de ma maison, l’autre la séparation de cœur d’avec un ami comme toi. Et certes cela est ainsi par la volonté du destin. Car on dit :
Quel que soit mon savoir, tu en possèdes deux fois autant. Tu n’as plus ni galant ni mari; pourquoi regardes-tu fixement, femme nue ?
Comment cela ? demanda le singe. Le crocodile dit :
« L’Ane vêtu de la peau d’un Tigre »
- Panchatantra 55