Sur les ruines chancelantes
D’un ancien château féodal
Dont le squelette colossal
Roidit contre les vents ses assises croulantes,
Un architecte inexpérimenté
Voulut ériger une usine.
Le voici donc à l’œuvre : il ordonne, on s’incline.
Chacun de replâtrer selon sa volonté
Les vieux murs lézardés des gothiques tourelles
Qui, parmi les débris amassés autour d’elles,
Dressent encor sous un manteau poudreux
Leurs torses orgueilleux.
Sur leurs arceaux à fleur de terre
On étage pierre sur pierre,
Si bien que sous le poids des bâtiments nouveaux
Les fondations s’écroulèrent,
Et dans le désastre entraînèrent,
Avec les ouvriers surpris dans leurs travaux,
Les pans inachevés du moderne édifice.
Il ne resta debout sous leur sombre cilice
Que les antiques tours
Que de ses mains le Temps égrène tous les jours.
Architectes fervents de la loi sociale,
De cet humble récit méditez la morale :
Avant d’édifier sur un passé poudreux
Et caverneux
De l’arche du progrès les massives murailles,
Fouillez et refouillez jusque dans ses entrailles
Le sol pour un nivellement ;
Et, d’une main révolutionnaire,
Jetez-y des piliers dignes du monument…
Ou, réformes d’abus, pans de charte ou de pierre
En s’écroulant sur vous rentreront sous la terre !
“L’Architecte”, Joseph Déjacque, 1821 – 1864