Fable imitée de Marie de France
Tout bon Français connait l’esprit
De cette gentille Marie,
Qui, dans plus d’un joyeux écrit,
Chanta serment d’amour et douce tromperie.
Mais l’on sait moins qu’avec fierté
Marie, en repoussant les grandeurs, l’opulence,
Du juste malheureux embrassant la défense,
Jusqu’au trône surpris portait la vérité.
Pour que la leçon fût aimable,
Elle la dépouillait de son austérité ;
Parfois elle chargea la fable
Du soin de la moralité.
Marie apprend qu’au fond d’une province
Eclate un mécontentement ;
Qu’on se plaint de l’édit du prince ;
Qu’on veut rédiger à l’instant
Respectueuse doléance,
Et remontrer qu’en notre France,
Nul monarque ne fut tyran.
Or, certain rusé courtisan,
Jugeant l’occasion propice
Pour obtenir brillant emploi,
Ne craint pas, au lever du Roi,
De taxer de grave injustice
Un ministre éclaire qui le croit son ami;
Et ce seigneur loyal dont chacun à l’envi
Célèbre les vertus publiques
Et les qualités domestiques,
Est bientôt transformé par la délation
En organe de vice et de sédition.
Le prince aveuglé va peut-être
Punir un zélé serviteur,
Et donner sa dépouille au traître.
D’un souverain trop faible, ah ! Déplorons l’erreur.
Mais dans sa cour parait Marie :
Sire, avant de frapper, dit-elle, je te prie
D’écouter un simple récit :
Un jour, dans le Maine ou le Perche,
Certain jeune arpenteur, mesurant un jardin,
Distrait, s’y prenait mal, recommençait en vain;
Il fit tout de travers ; puis, accusant sa perche,
Il la gourmandant sans répit,
Il allait, l’insensé, la briser de dépit.
La perche, avec douceur :
Maître, quel est mon crime ?
De ces écarts, rends-moi victime,
Si l’on punit l’agneau des fautes du berger ?
Je suis toujours la même, et ne saurais changer ;
Mais il faut me conduire avec intelligence
Place-moi là, bien droit ; relève moi soudain,
Suis et compte mes pas, marche plein d’assurance.
Te voilà tantôt à la fin.
C’est assez, dit le Roi, je comprends la sentence.
Que mon peuple à mes soins doive enfin son bonheur,
Et, pour récompenser mon aimable censeur ;
Que Marie a son nom joigne celui de France !
(L’Arpenteur et la Perche) – M. L** – Almanach des Muses – 1818.