Aux tems aînés de cet âge où nous sommes,
Entre les animaux une guerre survint.
Parfois, n’en déplaise à l’instinct,
Ils sont aussi fous que les hommes.
La commune vouloit l’emporter sur les lords ;
Chambre-basse prétend devenir chambre-haute.
On s’arme, on s’assemble et sans faute
On veut voir ce jour-là qui seront les plus forts.
Au service de la commune
Le lièvre et l’asne offrirent leur appui,
Non pour se battre et tenter la fortune ;
Mais, ils se disoient bons pour exciter autrui.
L’asne, excellent sonneur, misene d’Arcadie,
Devoit appeller Mars, et par sa voix hardie
Rendre le combat plus sanglant.
Le liévre étoit tambour ; c’étoit-là son talent.
Derrièreune haye on les place,
Où commençant leurs belliqueux accords,
Voilà dans tous les cœurs une nouvelle audace :
On s’attaque ; on se mêle ; on porte mille morts :
Mais, trompette et tambour bien-tôt sont inutiles.
Le camp des lords étoit plein de héros.
C’étoit autant d’Ajax ; c’étoit autant d’Achilles ;
La commune effrayée enfin tourna le dos.
Derriere leur buisson, on prend l’asne et le liévre
Embarassé de son tambour.
Nos deux poltrons ont déja la fiévre.
Leur supplice, dit-on, va finir ce grand jour :
Ils ont beau, pour obtenir grace,
Alléguer aux vainqueurs qu’ils n’étoient point soldats :
Qu’ils n’ont porté nul coup, ni même fait un pas,
Oüi ; mais des révoltés vous excitiez l’audace ;
Poltrons séditieux, vous n’échapperez pas.
C’étoit à mon avis bien décider l’affaire.
Aider au mal, c’est autant que le faire.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, L’Asne et le Lièvre.