Fable imitée d’Esope
Une cruelle maladie,
Presque incurable , disait-on,
Privait chaque jour d’un mouton
Certain berger de Normandie.
Le pauvre homme dépérissait,
Tant il était inconsolable !
Son chien , au rebours , jouissait
De voir la mort impitoyable,
Car toujours on lui destinait
Chaque animal qui trépassait.
Excellente il trouvait leur graisse;
Mais le rusé savait fort bien
Qu’en un tel moment de détresse.
Il devait, pour n’y perdre rien,
Dissimuler sou allégresse.
Il le fit avec quelque adresse,
Mais un chien est toujours un chien.
Or, un jour, une brebis grasse,
Qui semblait devoir échapper
Au fléau fondant sur sa race,
Soudain s’en vit aussi frapper.
Bientôt elle cessa de paître ;
C’était signe d’un grand malheur.
Le chien, voyant pleurer son maître ,
Tâcha d’imiter sa douleur.
Mais il poussa trop loin la plainte ;
Alors notre berger lui dit :
« Je vois que la tristesse est feinte,
« Et que, songeant à ton profit,
« Tu n’as maintenant d’autre crainte
« Que ma brebis, du mal atteinte,
« N’échappe à ton grand appétit.»
Ainsi peut-être qu’à cette heure,
En attendant qu’un parent meure,
Plus d’un pauvre héritier, qui pleure,
Porte en lui-même un cœur qui rit.
“Le Berger et son Chien”