On sait qu’il est encor, au pays de l’Ukraine,
De grands troupeaux errants, dans cette vaste plaine,
Qui se déroule au pied des monts Crapacks ;
Troupeaux de bœufs forts comme des yacks.
La Caravane errante,
Dès que l’homme apparaît, fuit avec épouvante.
Un Bœuf, mais l’un de ceux habitant sous nos toits,
Paissait aux abords d’un grand bois :
Il voit venir à lui, crinière hérissée,
Œil flamboyant, corne dressée,
Un Bœuf sauvage, au poil fauve, au cou tors,
Qui de loin l’apostrophe : — Enfin par vos efforts
Vous avez rompu votre chaîne.
Vous venez avec nous, vivre libre en la plaine ?
Je vous en félicite, ils sont finis vos maux ;
Plus de fers, non plus de bourreaux :
Je vais de nos déserts vous indiquer la route.
— Je ne vous comprends pas, vous vous trompez sans doute,
Dit notre Bœuf au survenant.
Je suis libre de fers, je suis libre d’entraves ;
Moi, ni mes pairs, ne sommes point esclaves.
Je vais, je viens, je vis très-librement.
Comme un bon fermier dans sa ferme.
—C’est-à-dire qu’on vous enferme.
—La nuit, pendant l’hiver, j’en conviens ; au printemps
Tout l’été, comme vous, je puis courir les champs.
—Plaisante liberté d’étable, d’écurie,
Dit le bœuf sauvage en furie :
Repoussez loin de vous un joug injurieux.
—Injurieux ! vraiment ! De grand cœur je partage
Tous les travaux du labourage.
Avec les villageois, hommes industrieux,
Qui me traitent d’ailleurs au mieux.
—Allez donc à la boucherie,
Pour moi je défends mieux ma vie.
—Contre l’homme à la fois et les loups et les ours,
Car tous trois conjurés s’attaquent à vos jours.
Vous vivez, il est vrai, dans le vagabondage ;
C’est là, convenez-en, un bien faible avantage.
—Je vis en liberté selon mon bon plaisir
Au joug, si doux qu’il soit, sans vouloir m’asservir.
—Plaisante liberté que le libertinage !
C’est en mesusant du langage,
Qu’on altère la vérité :
Ne confondons jamais, mon cher, l’état sauvage
Avec l’état de liberté.
“Le Bœuf domestique et le Bœuf sauvage”