Pañchatantra ou fables de Bidpai
3e. Livre – X. — Le Brahmane, le Voleur et le Râkchasa
Il y avait dans un endroit un pauvre brahmane nommé Drona. Il n’avait pour tout bien que les aumônes qu’il recevait ; il était toujours privé de la jouissance de beaux vêtements, d’onguents, de parfums, de guirlandes, de parures, de bétel et autres choses ; il était couvert de longs cheveux, de barbe, d’ongles et de poils, et avait le corps desséché par le froid, la chaleur, le vent, la pluie, et cetera. Quelqu’un qui faisait célébrer un sacrifice lui donna par compassion une paire de petites génisses, et le brahmane, dès leur jeunesse, les éleva avec du beurre clarifié, de l’huile, de l’herbe et autres choses, qu’il mendiait, et les nourrit bien. Un voleur les vit et pensa aussitôt : J’enlèverai à ce brahmane cette paire de vaches. Après avoir décidé cela, il prit une corde et partit dans la nuit. Lorsqu’il fut à moitié chemin, il aperçut un être qui avait une rangée de dents séparées et aiguës, la paroi du nez relevée, des yeux saillants et bordés de rouge, des lignes de muscles entassés les uns sur les autres, des membres tortus, des joues sèches, une barbe, des cheveux et un corps bruns comme Agni, à qui l’on offre beaucoup de sacrifices. Dès qu’il l’eut aperçu, le voleur, quoique saisi d’une très-grande crainte, lui dit : Qui es-tu ? L’autre répondit : Je suis Satyavatchana, un brahmarâkchasa ; toi aussi dis qui tu es. Le voleur dit : Je suis Kroûrakarman, un voleur ; je suis parti pour voler une paire de vaches à un pauvre brahmane. Alors le râkchasa conçut de la confiance, et il dit : Mon cher, je ne fais jamais que le sixième repas ; par conséquent je mangerai ce brahmane aujourd’hui. Ainsi cela se trouve bien, nous avons tous deux justement le même but. Puis ils allèrent là tous deux, et se tinrent dans un endroit retiré, épiant le moment favorable. Lorsque Drona fut endormi, le voleur, voyant le râkchasa s’avancer pour manger le brahmane, dit : Mon cher, cela n’est pas convenable, car il faut que j’enlève la paire de vaches ; après cela, tu mangeras le brahmane. Le râkchasa répondit : Le brahmane pourrait bien être réveillé par le beuglement des vaches ; alors mon entreprise échouerait. Le voleur dit : Mais si, pendant que tu t’approcheras pour le manger, il te survient seulement un obstacle, alors moi non plus je ne pourrai pas enlever la paire de vaches. Il faut donc que d’abord j’enlève la paire de vaches ; après cela, tu mangeras le brahmane. Tandis qu’ils discutaient ainsi par égoïsme, une querelle s’éleva entre eux, et le brahmane fut réveillé par leurs cris. Puis le voleur lui dit : Brahmane, ce râkchasa veut te manger. Le râkchasa aussi dit : Brahmane, ce voleur veut t’enlever ta paire de vaches. Lorsque le brahmane entendit cela, il se leva, prit ses précautions, et sauva sa personne du râkchasa en récitant des prières à sa divinité protectrice, et sa paire de vaches du voleur en brandissant un bâton. Voilà pourquoi je dis :
Des ennemis même font du bien en se disputant entre eux : un voleur sauva la vie à un brahmane, et un râkchasa sauva une paire de vaches.
Après avoir réfléchi sur les paroles de Vakranâsa, Arimardana demanda aussi à Prâkârakarna : Dis, que penses-tu là-dessus ? — Majesté, répondit celui-ci, il ne faut pas tuer ce corbeau, car si nous lui laissons la vie, peut-être le temps se passera-t-il agréablement dans une affection réciproque. Et l’on dit :
Les êtres qui ne gardent pas les secrets l’un de l’autre périssent, comme le serpent de la fourmilière et celui du ventre.
Comment cela ? dit Arimardana. Prâkârakarna raconta :
“Le Brahmane, le Voleur et le Râkchasa”
- Panchatantra 39