Pañchatantra ou fables de Bidpai
3e. Livre – IV. — Le Brahmane et les Voleurs
Dans un endroit habitait un brahmane nommé Mitrasarman , qui avait fait serment d’entretenir le feu du sacrifice. Un jour, dans le mois de mâgha, qu’un vent doux soufflait, que le ciel était couvert de nuages et que Pardjanya répandait tout doucement la pluie, il alla à un autre village pour demander une chèvre. Il demanda à quelqu’un qui faisait faire des sacrifices : Hé, dispensateur de sacrifices ! je célébrerai un sacrifice à la nouvelle lune qui vient ; donne-moi donc une chèvre. Celui-ci lui donna une chèvre grasse, telle que la prescrivent les livres sacrés. Le brahmane, après l’avoir laissée aller çà et là et l’avoir reconnue bonne, la prit sur son épaule et se mit vite en route vers sa ville. Or, pendant qu’il allait son chemin, trois voleurs dont le gosier était amaigri par la faim le rencontrèrent. Voyant sur son épaule une chèvre si grasse, ils se dirent entre eux : Ah ! si nous mangeons cette chèvre, la pluie froide d’aujourd’hui ne sera rien. Trompons-le donc, prenons la chèvre et faisons-nous-en un moyen de préservation contre le froid. Puis l’un d’eux changea son vêtement, alla par un chemin détourné à la rencontre de l’entreteneur de feu sacré, et lui dit : Hé, hé, sot sacrificateur ! pourquoi fais-tu ainsi une chose ridicule et odieuse aux hommes, que tu portes sur l’épaule ce chien impur ? Car on dit :
Le chien, les balayures et le tchândâla, même attouchement, dit-on, et particulièrement l’âne et le chameau : qu’on ne les touche donc pas.
Ensuite le brahmane fut saisi de colère, et dit : Ah ! es-tu aveugle, que tu fais d’une chèvre un chien ? — Brahmane, répondit le voleur, il ne faut pas te mettre en colère ; va comme il te plaît. Puis quand le brahmane eut parcouru une certaine étendue de chemin, le second voleur vint à sa rencontre, et lui dit : Hé, brahmane ! hélas ! hélas! quoique ce veau mort te soit cher, il n’est cependant pas convenable de le mettre sur l’épaule. Car on dit :
Que l’insensé qui touche un animal, ou même un homme mort, se purifie avec les cinq choses provenant de la vache , et par le tchândrâyana .
Ensuite le brahmane dit avec colère : Hé ! es-tu aveugle, que tu appelles une chèvre un veau mort ? —Vénérable, répondit le voleur, ne te mets pas en colère, j’ai dit cela par ignorance ; fais donc ce qu’il te plaît. Puis quand le brahmane fut entré un peu dans la forêt, le troisième voleur, portant un autre vêlement, vint à sa rencontre et lui dit : Hé ! cela n’est pas convenable, que tu portes un âne sur l’épaule ; jette-le donc. Et l’on dit :
A l’homme qui touche un âne sciemment ou même à son insu il est prescrit de se baigner avec son vêtement, pour détruire sa faute.
Laisse-le donc là pendant que personne autre ne te voit.
Alors le brahmane crut que la chèvre était un âne ; saisi de crainte, il la jeta à terre et s’enfuit vers sa maison. Puis les trois voleurs se réunirent, prirent la chèvre et se mirent à manger selon leur bon plaisir.
Voilà pourquoi je dis :
Ceux qui ont beaucoup d’intelligence et de sagesse peuvent tromper ceux qui sont fiers de leur force, comme firent des voleurs à un brahmane pour une chèvre.
Et certes on dit ceci avec raison :
Il n’est ici-bas personne qui n’ait été trompé par la soumission de serviteurs nouveaux, par le langage d’un hôte, par les pleurs d’une courtisane, par la foule de paroles des gens fourbes.
En outre, il n’est pas bon d’être en inimitié même avec des faibles, s’ils sont nombreux. Et l’on dit :
Il ne faut pas lutter avec un grand nombre, car ceux qui sont nombreux sont difficiles à vaincre : des fourmis mangèrent un grand serpent, bien qu’il se tortillât.
Comment cela ? dit Méghavarna. Slhiradjîvin raconta :
” Le Brahmane et les Voleurs”
- Panchatantra 33