Pañchatantra ou fables de Bidpai
5e. Livre – XV. — Le Brâhmane sauvé par une Ecrevisse
Dans un endroit habitait un brahmane nommé Brahmadatta. Il partit pour un autre village par nécessité d’affaires. Sa mère lui dit : Enfant, pourquoi t’en vas-tu seul ? Cherche donc un second qui t’accompagne en route. — Mère, répondit-il, n’aie pas de crainte. Ce chemin n’est pas dangereux. Aussi, à cause d’une affaire importante, j’irai aujourd’hui même, quoique seul. Quand la mère vit sa résolution, elle prit une écrevisse d’un trou d’un puits voisin, et dit à son fils : Enfant, s’il faut absolument que tu partes, cette écrevisse sera pour toi un compagnon. Prends-la donc soigneusement, et va. Le brahmane, par respect pour sa mère, prit l’écrevisse avec les deux mains, la mit dans un cornet de camphre, la jeta au milieu de son argent, et partit vite. Mais en marchant, il souffrit de la chaleur ; il s’approcha d’un arbre qui était sur la route et s’endormit dessous avec plaisir. Cependant un serpent noir1 sortit d’un trou de l’arbre et courut sur lui. Mais le serpent noir eut les sens vaincus par l’odeur du camphre ; il laissa le brahmane, déchira la bourse et mangea avec très-grande avidité le cornet de camphre qui était dedans. L’écrevisse, mangée aussi par le serpent, lui tomba dans la gorge et le fit mourir. Quand le brahmane eut fini de dormir et regarda, il y avait auprès de lui un serpent noir mort, qui avait déchiré la bourse et mangé le cornet de camphre, et auprès du serpent, l’écrevisse. Lorsqu’il vit cela, il pensa : Hé ! ma mère a dit vrai, qu’il faut prendre un second pour compagnon, mais qu’on ne doit pas voyager seul. Comme j’ai suivi son conseil avec un esprit plein de foi, je suis sauvé, même par une écrevisse, de la mort que m’aurait donnée le serpent. Et certes on dit ceci avec raison :
Quand le soleil grandit, la lune coule consumée et fait grossir le maître des eaux : les uns sont des compagnons dans l’infortune, d’autres jouissent de la prospérité des riches.
En fait de délibération, de lieu de pèlerinage, de brahmanes, de dieux, d’astrologues, de remèdes, de précepteur spirituel, comme on se gouverne, ainsi l’on réussit.
Après qu’il eut parlé ainsi, il alla où il avait dessein.
Voilà pourquoi je dis :
Même un chétif compagnon de route est une cause de bonheur : un voyageur fut sauvé d’un serpent par une écrevisse qu’il avait avec lui.
Après avoir entendu cela, le magicien à l’or prit congé de son compagnon et retourna vers sa maison.
Srî Vichnousarman a fait ce livre de la politique des rois, livre composé de récits et accompagné de sentences de bons poètes, au moyen duquel, ici-bas, celui qui fait du bien aux autres, celui qui révère le ciel, et les sages, discourent. Que bonheur soit !
“Le Brâhmane sauvé par une Ecrevisse “
“FIN DU PANCHATANTRA”
- Panchatantra 74