Dans le Magasin d’un Persan
Qui brocantoit dans toute la Sirie,
Une Toilette fort jolie,
Quoiqu’elle parlât Musulman,
Se trouvoit, par hazard, près d’un Bureau sévère,
Meuble autrefois d’un membre du Divan,
D’un Apôtre de l’Alcoran, Turc, s’il en fut, & Turc atrabilaire,
« Pour m’approcher, sais-tu bien qui je suis ?
Dit-il bientôt à sa voisine.
Dans les Etats tout s’achemine,
A l’aide de mon noir tapis.
Je suis un très-grand Politique ;
Sans moi, point de contrats ; sans moi, plus de traités :
Les Actes importans me sont tous présentés :
J’ai la confiance publique. »
« Pédant, c’est bien à toi de vouloir prendre un ton,
Dit la Toilette ; écoute, & lutte si tu l’oses :
J’habitois le serrail dans ma jeune saison ;
Tu jugeois les effets, j’appercevois les causes.
Par un seul mot, si tu sais voir,
Tu verras quel est mon mérite :
J’ai, pendant plus d’un an, soutenu le miroir
D’une Sultane favorite.
Disgrâce, entreprise, faveur ;
J’épiois tout dans son principe ;
Plus d’une fois le Grand-Seigneur
A mes côtés fuma sa pipe :
Le Cadi fut biffé tout net ;
Ce Juge avoit trop de lumières.
Mahmoud faisoit bien le sorbet ;
On le fit Chef des Janissaires.
Certain Bâcha fut empalé,
Pour un rêve de la Sultane ;
Traité par elle de Profane ,
Un Derviche fut étranglé.
Chaque petite fantaisie
Causoit un grand événement ;
Enfin le sort de la Sirie
Et de tout l’Empire Ottoman ,
Dépendoit d’une bouderie,
D’un œil battu, de l’humeur du moment,
Ou, quelquefois, d’une insomnie.
J’ai… » la porte s’ouvrit, elle n’acheva pas,
Un seul témoin vaut mieux que cent gazettes.
Dieux ! faites parler les Toilettes !…
Et nous saurons le secret des Etats.
“Le Bureau et la Toilette”