Un scrutateur de nature,
De ces gens studieux , qui, la suivant de près,
Aidés de l’instrument qui calcule, mesure,
Vont lui dérobant ses secrets,
Se promenoit un jour sur une plage,
Tandis que le tyran de l’air,
Le fougueux aquilon, n’écoutant que sa rage,
Soulevoit les flots de la mer.
Tous emportés d’une commune course,
Ils se précipitaient, du midi jusqu’à l’ourse,
Leur mouvement impétueux
Sembloit vouloir se dérober aux yeux.
O mer ! dit-il, ta violence
Ne te met pas à l’abri des calculs,
Sous les efforts de la science,
Bientôt les tiens deviennent nuls.
Ce que veut l’homme, il l’exécute ;
En comptant par une minute,
J’aurai l’état exact des flots que dans un an
Pourroit voiturer l’Océan,
L’ouvrier se met à l’ouvrage ;
Un, deux, trois, quatre : il alloit ; mais l’orage
Se renforçant, un tourbillon soudain,
D’une fougue plus incertaine
Agite la liquide plaine.
Notre Calculateur s’aperçoit qu’il a tort.
Au flots de l’Océan nos jours ont du rapport.
La passion qui nous agita,
Allonge ou raccourcit nos jours,
Dont, cependant, rien n’arrête le cours,
Qui, vers leur fin, les précipite.
Selon qu’on souffre ou qu’on est soulagé,
Le temps, ou s’échappe ou nous dure,
Et notre sort est ainsi partagé ;
Le bon temps n’est qu’en abrégé ;
Celui qui nous trouve, affligé
A l’éternité pour mesure.
“Le Calculateur et la Mer”