Un cerf près d’un lapin — paisibles personnages —
Broutait innocemment dans de gras pâturages,
Lorsque, pour leur malheur, un fils de Saint-Hubert
Vint près d’eux, et voilà le couple découvert.
Aussitôt de courir ; c’étaient gens fort ingambes
Qui, bien souvent déjà, n’avaient dû qu’à leurs jambes
Le salut de leur tête. Hélas ! pour cette fois,
La fortune à l’un d’eux devait être contraire.
Ils n’avaient pas le choix dans leur itinéraire ;
Derrière était la meute, et par devant, un bois.
C’est dire assez le parti qu’ils choisirent,
Et dans quel sens leurs jarrets se tendirent.
Entrés dans la forêt, le lapin se blottit
Au fond du premier trou qu’il vit sur son passage.
En vain Castor d’assez près le sentit ;
N’y pouvant mordre, il en perdit courage ;
Menaça fort, disant : « Si quelqu’un sort de là,
Palsambleu ! je le tue ! » Et puis il s’en alla,
Laissant en paix Jeannot, qui put longtemps encore
Rendre ses devoirs à l’aurore.
Quant au cerf, il eut beau cent fois mettre en défaut
Sultan, Mylord, Fox et Briffaut ;
Comme il ne put, grâce à sa taille,
Suivre l’exemple du lapin,
Il lui fallut livrer bataille.
Et du vaincu bientôt subir l’affreux destin.
Au jeu du sort, comme au jeu politique,
Moins on est grand plus on est à couvert.
Ce proverbe à ces jeux s’applique
Au moins autant qu’à ceux de Saint-Hubert.
“Le Cerf et le Lapin”