Claude Joseph Dorat
Poète et fabuliste XVIIIº
Le bien, dit-on, vers le mieux s’achemine :
Ce mieux-là n’est qu’un mot, ou je suis bien trompé.
Le chapeau, dans son origine,
S’arrondissait sans être retapé.
Le premier cependant qui s’en couvrit la tête
En était fier quoiqu’il fût rabattu :
C’était à qui lui ferait fête ;
Et le bruit de son nom fut partout répandu.
Cet homme devînt vieux, et mourut comme un autre.
Du chapeau rond son plus proche hérita ;
C’était de son temps comme au nôtre.
Profondément il médita,
Et releva deux bords. Tout le peuple s’écrie :
Ma foi l’inventeur ne fut rien ;
Son successeur est tout : quel effort de génie !
C’est à présent que le chapeau sied bien !
Le successeur, au milieu de sa gloire,
Alla rejoindre son parent ;
Et l’héritier, esprit fort pénétrant,
Voulut, comme eux, illustrer sa mémoire.
Voilà sa tête en mouvement :
Son essor créateur ne connaît plus de borne.
Et soudain au chapeau, quel heureux changement !
Dans son enthousiasme il ajoute une corne !…
Une corne de plus ! vite, vite un autel !
C’est un prodige, un dieu, sous les traits d’un mortel.
La Parque, enfin, le ravit à la terre ;
Au terme des grandeurs le voilà parvenu.
Et le chapeau trois fois cornu
Vient enrichir un nouveau légataire.
Que fera-t-il ? que va-t-il concevoir ?
A ses dépens chacun raisonne et glose…
Ô sublime métamorphose !
Son feutre est blanc ; il va le teindre en noir,
Afin d’inventer quelque chose.
Nouveaux transports ! grande rumeur !
Oh ! pour le coup, l’idée est admirable !
Un chapeau blanc ! fi ! c’était une horreur.
Voici du beau, du neuf, de l’incroyable.
Honneur au chapeau noir, gloire soit à l’auteur !
Notre Auguste philosophie
Est, je crois, peinte en ce tableau :
Que de sages on déifie
Qui n’ont fait que changer la forme du Chapeau ?
Claude Joseph Dorat, Le Chapeau