Paul Vallin
Poète, romancier et fabuliste contemporain – Le Chasseur et le Boa
Un chasseur, en Afrique, avait tendu ses pièges,
Espérant ce jour là nourrir toute sa famille.
Il les avait placés au bord d’un fleuve tranquille,
Car ailleurs aucune prise n’avait été tentée ;
Pas même le rat palmiste d’habitude si gourmand,
Ni même une étourdie de perdrix si folâtre !
Mais là, au bord de l’eau, les oiseaux par centaines
Venaient pour y chanter, et y donner concert.
Or les pièges placés là, écoutèrent cette musique,
Et ils se refusèrent à prendre ces troubadours.
Sans doute comprenaient-ils que ces chants mélodieux
Étaient cris de révolte, contre l’Homme, ce prédateur !
Le chasseur s’en alla poser dans la savane,
Beaucoup plus silencieuse, ses rets et ses filets.
Et enfin, un matin, il trouva dans l’un d’eux
Un Boa de belle taille qui lui ferait festin.
Il leva donc sa lance pour tuer le serpent,
Mais l’entendit lui dire : « Chasseur ! Ne me tue pas. »
– « Dis-moi pourquoi, Boa, je devrais t’épargner,
Quand toi tu passes ton temps à tuer pour manger ? »
– « Chasseur, je te sais pauvre, tes pièges depuis un mois
Ne prennent aucun gibier ; je puis changer cela
En te faisant très riche. Détache-moi maintenant. »
Le chasseur hésita, puis il posa sa lance.
En sa tête mille pensées passaient et repassaient,
Car le boa tué, dépouillé et séché,
Représentait fortune. Écouter son propos,
Et le laisser partir, c’était prendre le risque
D’être attaqué par lui, un Boa reste serpent !
– « Si je te libérais, sauras-tu m’épargner ? »
Demanda le Chasseur au reptile prisonnier.
– « Dis-moi donc depuis quand les animaux de brousse
Se conduisent comme les Hommes qui attaquent sans raison ?
Nous attaquons de face, et seulement pour manger,
Mais nous récompensons ceux qui nous font bienfaits.
Alors Chasseur choisis, ma vie pour ta richesse ! »
Le chasseur détacha le Boa qui lui dit :
– « Je vais te faire un don pour un temps de fortune,
Tu pourras désormais comprendre ce que se disent
Les animaux qui marchent, rampent, nagent et volent.
Tu pourras faire usage du savoir de nature
Sans pour autant pouvoir en modifier le sens.
Par eux je t’apprendrais quand ton don prendra fin. »
Sans être bien convaincu de l’intérêt du troc
Le privant d’un dîner, le chasseur repartit
Croisant une Mangouste qui criait à son chien :
– « Un incendie arrive, toute la brousse se consume,
Conseille donc à ton Maître de franchir la rivière ! »
Surpris d’avoir compris le langage animal,
Le chasseur alerta les gens de son village
Qui se mirent à l’abri, de l’autre coté du fleuve
Puis, pour le remercier, l’élirent chef de tribu ;
Le savoir animal lui donnait le pouvoir !
Mais il fallait quand même chasser pour se nourrir,
Il repartit en brousse pour piéger à nouveau.
Et alors qu’il guettait, à la sortie d’un trou,
Une Tortue dans son antre, il l’entendit parler :
– « Nous aurons prochainement une saison de sécheresse
Qui va rendre le grain rare, et provoquer famine.
Il nous faut amasser avant qu’il soit trop tard ! »
Les propos de Tortue alertèrent le Chasseur.
Il s’en fut acheter d’évidence à crédit,
Les récoltes de l’année et les stocka chez lui.
Puis quand la famine vint, il revendit très cher
À ceux qui avaient faim les vivres qu’il possédait.
Il devint nouveau riche, car c’est ainsi que font
Les hommes qui font pari sur la détresse des autres.
Plusieurs mois s’écoulèrent, le chasseur entre temps
S’était fait au village bâtir un grand palais
Afin de disposer d’un toit selon son rang,
Et recevoir chez lui les Grands, les Riches, les Forts ;
Le pouvoir et l’argent faisaient de lui un roi !
Pour changer quelque peu, il s’en alla pêcher.
Il surprit les Poissons parlant d’inondation
Qui ne saurait tarder, menaçant la région.
Ce nouveau roi, prudent, déménagea ses biens,
Invitant son village à gravir la montagne,
Le préservant ainsi des eaux de ciel et terre
Qui s’épandaient en lacs et noyaient les basses terres.
Rescapés du déluge firent de leur roi un dieu
Pour avoir su prévoir cette grande colère du ciel.
Ils bâtirent un grand temple, construisirent une cité,
Qui donnait au monarque un rayonnement divin,
Soumettant à sa loi la province toute entière.
Puis le temps s’écoula, le dieu-roi vieillissait
Au milieu des jardins et des douceurs royales.
Dans l’une de ses volières, il surprit un matin
Un Perroquet bavard disant à un Mainate :
– « Le Maître va mourir, son heure est arrivée ! »
– « Mais que me dis-tu là ? »
– « Je te dis qu’aujourd’hui,
Quand l’ombre chassera le jour, la vie quittera le roi. »
– « Et ne peut-on rien faire pour corriger ce sort ? »
– « Il faudrait pour cela qu’il rende au grand Boa
Le vieux secret confié quand il était chasseur,
Et redevenir pauvre, ou choisir de mourir. »
– « Mais pourquoi le trépas plutôt que la richesse ? »
– « La richesse, tu le vois, lui fait vie de douceurs
Qui lui font oublier les misères d’à coté.
Il avait fait un troc : une vie pour la richesse,
Aujourd’hui il rembourse : la richesse pour sa vie ! »
L’ancien pauvre chasseur se mit à prendre conscience
Du bonheur d’être roi, d’ignorer pauvreté,
D’exercer le pouvoir grâce au don du Boa.
Il hésitait à perdre ce pouvoir de bonheur,
Mais ne pouvait choisir la mort pour destinée
Sachant que la misère, c’est toujours de la vie.
Il s’en alla porter au serpent de la brousse,
Le don de connaissance des secrets d’animaux
Jadis prêté par lui.
La morale le dirait : s’il vous reste la vie
Quand la richesse s’envole, soyez enfin heureux !
Paul Vallin