Jean de La Fontaine
Poète, moraliste et fabuliste XVIIº – Le Chat et le Renard
Le Chat et le Renard, comme beaux petits saints,
S’en allaient en pèlerinage.
C’étaient deux vrais Tartufs, deux archipatelins,
Deux francs Patte-pelus qui, des frais du voyage,
Croquant mainte volaille, escroquant maint fromage,
S’indemnisaient à qui mieux mieux.
Le chemin était long, et partant ennuyeux,
Pour l’accourcir ils disputèrent.
La dispute est d’un grand secours ;
Sans elle on dormirait toujours.
Nos pèlerins s’égosillèrent.
Ayant bien disputé, l’on parla du prochain.
Le Renard au Chat dit enfin :
Tu prétends être fort habile :
En sais-tu tant que moi ? J’ai cent ruses au sac.
– Non, dit l’autre : je n’ai qu’un tour dans mon bissac,
Mais je soutiens qu’il en vaut mille.
Eux de recommencer la dispute à l’envi,
Sur le que si, que non, tous deux étant ainsi,
Une meute apaisa la noise.
Le Chat dit au Renard : Fouille en ton sac, ami :
Cherche en ta cervelle matoise
Un stratagème sûr. Pour moi, voici le mien.
A ces mots sur un arbre il grimpa bel et bien.
L’autre fit cent tours inutiles,
Entra dans cent terriers, mit cent fois en défaut
Tous les confrères de Brifaut.
Partout il tenta des asiles,
Et ce fut partout sans succès :
La fumée y pourvut, ainsi que les bassets.
Au sortir d’un Terrier, deux chiens aux pieds agiles
L’étranglèrent du premier bond.
Le trop d’expédients peut gâter une affaire ;
On perd du temps au choix, on tente, on veut tout faire.
N’en ayons qu’un, mais qu’il soit bon.
Analyses de Chamfort
V. 5. C’était deux vrais tartuffes , etc. . . .
Cette fable est très-agréablement contée; mais la moralité en est vague et indéterminée. L’auteur a l’air de blâmer le renard, en disant :
V. 33. Le trop d’expédients peut gâter une affaire.
Et cependant le renard fait ce qu’il y a de mieux pour se sauver, et ce qui le sauve très-souvent. La Fontaine ajoute, à propos d’expédients :
V. 35. N’en ayons-qu’un, mais qu’il soit bon.
Il ne songe pas qu’il est en contradiction avec lui-même, et que , dans la fable XXIII du douzième livre, il dit, à propos d’une ruse admirable d’un renard , qui ne réussit que la première fois :
V. 49. Tant il est vrai qu’il faut changer de stratagème. (Le Chat et le Renard)