Marie-Nicolas-Silvestre Guillon
Théologien, prêtre – Analyses – Le Chat et le Vieux Rat
Commentaires et analyses sur Le Chat et le Vieux Rat de MNS Guillon – 1803
- Le Chat et le Vieux Rat.
(1) J’ai lu chez un conteur de fables. D’où vient que, dans la fable de La Mothe, qu’on vient de lire, on reste indifférent à la lecture de ce vers : Un jeune enfant, je le tiens d’Épictète , tandis que le rire vient de lui-même se placer sur nos lèvres en lisant ce vers de La Fontaine : J’ai lu chez un conteur de fables ? 1°. La Mothe n’est et ne veut être que sérieux ; 2°. il y a quelque prétention à citer cet antique philosophe, et l’on se tient en garde contre la leçon ; 3°. on voit sans intérêt le grave Épictète appelé en témoignage à propos d’un enfant. La Fontaine ne cherche qu’à vous amuser ; il s’avance, le rire sur les lèvres ; sa seule présence inspiré la gaîté. Quand il vous indique les sources où il puise le sujet de ses narrations, il ne déguise rien ; peu lui importe quel jugement vous allez porter de lui. C’est un enfant dont l’ingénuité vous charme dans les récits naïfs qu’il vous fait. Il vous séduit d’autant plus qu’il s’en doute moins. Comme lui, vous finissez par croire ce qu’il vous raconte, et vous le voyez rire de si bonne foi, que vous ne pensez plus qu’a rire avec lui.
(2) Qu’un second Rodilard. Rodilard Ier. du nom , est le Rodilardus de la fable 2 du Liv. I. Florian leur donne à tous deux une brillante postérité ( Voyez Liv. II. fab. 2).
(3) L’ Alexandre des Chats. La prose eût dit : » Le plus vaillant d’entre eux », et l’expression eût en de la noblesse. La Fontaine l’a rendue poétique et imposante , en disant : l’Alexandre des Chats. Ce nom est depuis si long-temps le synonyme du courage aidé de la fortune ! Suivez cette première idée : Sa Valeur sera fatale à plus d’un ennemi. Voilà ce que dirait la prose; la poésie l’appelle un fléau : c’est Attila, surnommé le fléau de Dieu. Voulez-vous enchérir encore ? Allez au-delà des bornes de la nature ; que la fable elle-même devenue tributaire du génie, lui présente des modèles jusques au sein des Enfers. Cet Alexandre, cet Attila, ce fléau, qu’est-ce que tout cela ? un vrai Cerbère, semant à l’entour l’épouvante et l’effroi. La poésie est vraiment Prométhée dérobant le feu du Ciel pour animer sa statue.
(4) La mort-aux-rats, les souricières. Notre poète pouvait avoir lu dans Sarrazin :
Tendirent mille souricières, Semèrent de la mort-aux-rats.
( Œuvres, IIème. partie, pag. 23 ).
(5) Le galant fait le mort. Ainsi dans la fable du Renard et de la Cigogne :
Le galant pour toute besogne.
(6) A de certains cordons. On ne sait trop comment la chose a pu se faire ; mais avec ces certains cordons , la vraisemblance est sauvée. Le bon homme !
(7) Le peuple des Souris croit. Peuple n’est point ici mis au hasard. La sotte crédulité fit dans tous les temps le caractère du peuple.
(8) Se promettent de rire à son enterrement. On ne tient pas à ces traits là. Mais qu’elle profonde connaissance des hommes! Ils passent sans réflexion de l’excès de la tristesse à l’excès de la joie.
(9) Mettent le nez à l’air, montrent un peu la tête, etc. Plaignons le lecteur qui ne sentirait pas le charme de cette peinture: elle est d’une ressemblance achevée. Tout le monde les a vus, les a considérés, ces mouvements incertains de la souris prête à sortir de son trou, produits par les mêmes alternatives de crainte et de sécurité si bien rendues ici ; voilà ses jeux, voilà et ses sorties et ses rentrées. Mais quel observateur eût mis dans sa description cette justesse de style , cette progression d’images qui fait de celle-ci la copie parfaite de la nature ?
(10) Le pendu ressuscite. La rapidité du récit égale celle de l’action.
(11) Vos cavernes creuses. Des trous de souris ne sont point des cavernes ; mais cette emphatique exagération relève l’adresse du vainqueur.
(12) Notre maître Mitis. Nom de caractère : il convient bien a l’hypocrite douceur de l’animal, du latin milis, doux de là, chatte-mite, cata mitis. Le P. Barbe s’est approprié ces noms divers dans sa fable des trois Chats.
(13) Les affine. Mot inconnu à plus d’un auteur de dictionnaire. Il signifie jouer au fin, surprendre par quelque finesse. Cl. Marot :
Fuyez la beauté Qui soubs beaux dicts un vray amant affine.
(Eglog. XIV.)
Et Rabelais : Par leur astuce sera trompé et affiné.
(Prol. du Liv. IV. p. 4 )
(14) La gent trotte-menu. Ce joli mot est de la création de La Fontaine. Ce sont là, comme vingt expressions d’Homère, de Corneille ou de notre fabuliste, de ces beautés perdues pour les langues étrangères, parce que, outre un rapprochement difficile à saisir, il faut dans les éléments mêmes des deux expressions, une harmonie pittoresque.
(15) Un Rat, sans plus. Pas plus d’un seul.
(16) Même il avait perdu sa queue à la bataille. Une de ces saillies d’une gaîté vive et piquante, par lesquelles La Fontaine fixe ou réveille l’attention de son lecteur. (Le Chat et le Vieux Rat)