A mon ami Cavanier
Jadis, au bord d’un fleuve, un chêne séculaire
Vivait de chacun vénéré ;
Tandis qu’un pauvre petit lierre,
Tout près de lui végétait ignoré.
Se plaindre au sort de sa misère
Est toujours, en tel cas, la plus pressante affaire,
A l’usage commun de tout temps pratiqué.
Jugez si l’arbuste eut manqué.
Pendant que de son mieux il crie et se déchaîne,
Sa plainte parvenant aux oreilles du chêne,
L’arbre compatissant, touché de ses douleurs :
« Cher ami, lui dit-il, séchez enfin vos pleurs.
Le ciel veut qu’aux petits les grands viennent en aide ;
Je dois donc à vos maux porter un prompt remède.
Venez auprès de moi ; je prendrai soin de vous.
Vous vous élèverez aussi haut que ma tête ;
Et, quoique aux régions où règne la tempête,
Des vents et des destins vous braverez les coups. »
Notre lierre enchanté de cette offre civile,
Ne jugea pas devoir faire le difficile ;
Et sans plus ample compliment,
Il accepta tout bonnement.
La chose alla très-bien. Jusque dans un grand âge
On fit de part et d’autre un excellent ménage.
Cependant, un printemps, alors que des ruisseaux
La neige va grossir les eaux,
Il advint que le fleuve enrichi par leurs ondes,
Prêt à tout ravager,
S’élança de son lit sur les plaines fécondes
Qu’en déserts il alla changer.
Lorsque, ébranlé déjà par la vague écumante,
L’arbre vit approcher l’heure de son trépas,
Il dit au lierre : « Ami, votre sort m’épouvante ;
Ma vieillesse au courant ne résistera pas.
J’expirerai bientôt ; sauvez-vous au plus vite ;
Car je mourrais deux fois en vous voyant mourir. »
« — Quoi ! vous me proposez qu’aujourd’hui je vous quitte
Dit le lierre ; avec vous je veux vivre ou périr.
J’ai partagé votre fortune ;
L’Adversité doit nous être commune. »
Dois-je à Messieurs les courtisans
Offrir cet exemple sublime ?
A quoi bon perdre ainsi mon temps ?
Ne sais-je pas assez quel esprit les anime ?
Non ; l’exemple est trop beau pour qu’il soit oublié ;
J’en fais hommage à l’amitié.
“Le Chêne et le Lierre”