Viancin, Charles François Antoine
Un chêne presque séculaire
S’élevait entouré d’arbres jeunes et beaux,
Nés des glands descendus de ses féconds rameaux.
Comme lui plus qu’octogénaire,
Un père de famille, au cœur triste et chagrin,
A son riant contemporain
Se plaignait d’être solitaire.
» Chêne heureux, lui disait cet homme infortuné,
» Te voilà rayonnant de voir sous ton ombrage
» Tous les brillants sujets issus de ton feuillage,
» Et moi… je suis abandonné.
J’eus aussi dans un temps des enfants en grand nombre ;
J’en ai perdu moitié par l’implacable mort;
» Les survivants sont tous dispersés par le sort,
» Et mon âme loin d’eux reste inquiète et sombre.
» Tu peux vivre encor longuement
» Tranquille spectateur de ta progéniture,
» Et mot, je rais mourir dans mon isolement,
» Privé de tous les dons que m’a faits la nature. »
Le vieux chêne qui l’entendit,
D’un ton grave lui répondit :
« Passant, console-toi : l’humaine destinée
» Est de rester sujette aux pertes, aux douleurs,
»Aux revers, aux plus grands malheurs ;
» La vieillesse est partout souvent abandonnée ;
» Mais il est sur la terre un arbre souverain,
» Eternel protecteur de tout le genre humain,
» Qui lui garde un abri dans toutes ses misères
» Et réunit un jour les enfants et les pères.
» Souviens-toi des leçons d’un Sauveur adoré,
» Et, sans répandre ailleurs de vaines doléances.
» Porte au pied de l’arbre sacré
» Et tes regrets et tes souffrances. »
“Le Chêne et le Père de famille”