André-Clément-Victorin Bressier
De la ville allant au village,
Dom Coursier, maître Aliboron,
Pour charmer l’ennui du voyage
S’entretenaient de leur patron.
« Camarade, disait l’ânon,
Tout injuste qu’il est, notre maître, je pense,
Doit être satisfait de ton obéissance.
Tu t’excèdes pour lui, pauvre dupe ! ah vraiment,
Je ne lui donne point pareil contentement.
Mon pas uniforme et tranquille
Quelquefois échauffe sa bile.
Eh bien ! j’oppose à son courroux
Une imperturbable inertie :
Il peut bien m’assommer de coups,
Mais me faire courir, parbleu ! Je l’en défie,
Et je n’ai pas trotté quatre fois dans ma vie. »
— « J’entends, dit le cheval, tu tires vanité
De ta paresse ; et moi, de ma docilité.
L’homme est le roi de la nature,
Je suis tout fier de le servir ;
Ses désirs règlent mon allure,
Et s’il le fallait, sans murmure
Je mourrais pour mieux obéir.
Ainsi que ses travaux je partage sa gloire ;
Compagnon des enfants de Mars,
J’affronte avec eux les hasards ;
Plusieurs de mes pareils sont fameux dans l’histoire
Aux dépens de ton dos sois revêche et mutin,
Brave le fouet et le gourdin ;
Roué de coups, chante victoire ;
Je n’ai garde de t’imiter :
Trop chèrement, pauvre imbécile,
Le bâton te fait acheter
Le sot plaisir d’être indocile. »
« Tu parles d’or, c’est raisonner fort bien,
Reprend l’ânon ; mais, mon cher frère,
Mon sentiment du tien diffère,
Et je ne démords pas du mien.
Qu’on m’approuve ou qu’on me condamne,
Je serais, si j’étais cheval,
Rétif et paresseux.» — « Et moi, si j’étais âne. »
Lui répond le noble animal.
“Le Cheval et l’Âne”