Un cheval qui, dans sa jeunesse,
Avait fait plus d’une prouesse,
Et qui gardait l’ardeur d’un noble sang,
Avait, devenu vieux, pour maître un paysan.
Tout crotté, ne portant rien que de la farine,
Il conservait une fort belle mine.
Son pied sans doute était mal ferré : cependant
Il marchait en mesure, et même en gambadant.
Et, bien qu’il fût dépourvu de crinière,
Il tenait haut encor sa tête altière,
Comme le destrier de quelque souverain.
A ses côtés un âne allant son petit train,
Également chargé de blé, le nez à terre,
Boitant à chaque pas, et heurtant chaque pierre,
A son voisin le cheval parle ainsi :
« C’est pitié de te voir ici
Mener de front l’orgueil et l’esclavage.
Ne fais donc pas tant d’étalage.
Songe au présent, ton passé n’est plus rien,
Et règle ton pas sur le mien. »
L’autre dit : « Tout chargé qu’on me voit de mouture,
Je suis toujours le même, et c’est là mon allure.
La fortune est changeante; mais
La nature ne l’est jamais.
Toi-même on peut, des pieds jusqu’à la tête,
Mon cher, transformer la toilette,
Avec des draps frangés d’argent et d’or
T’envelopper ; lu resteras encor
Âne, comme devant, et tu n’auras, en somme,
Pas d’autre air que celui d’une bête de somme. » .
“Le Cheval et l’Âne”