Le chien n’est pas si sot que nous le supposons,
Il est bon philosophe, et du mépris des hommes
Il se rit à bon droit ; car, tout fins que nous sommes,
Le chien, tout chien qu’il est, nous donne des leçons.
Regardez celui-ci : dans ce recoin de porte
Quelle proie a-t-il faite ? On dirait qu’il emporte
Un trésor.
Point du tout, c’est un os, un vilain os encor,
Rebut, trois fois rongé, de quelque pauvre table.
Cependant le voilà qui s’arrête à l’écart,
Et son festin commence. On peut voir au regard
Qu’il décoche aux passants, et qui n’a rien d’aimable,
Qu’on serait mal venu d’en demander sa part.
Avec une ardeur incroyable
Il saisit l’os, le mord, l’étudie et, s’aidant
Et de la patte et de la dent,
Le tourne, le retourne ; à la fin il le brise.
Si de tous les soins qu’il a pris
Un peu de moelle est tout le prix,
Du moins, cette moelle est exquise.
Ce que j’ai voulu peindre et montrer en ces vers,
C’est la fable elle-même et ses côtés divers.
Si le sage en recherche et savoure l’essence,
Le sot la considère avec indifférence
Et, dans ces fictions, ne découvre qu’un jeu
A plaisir inventé pour l’amuser un peu.
Quelle prétention !… Mais elle vaut, je pense,
La mienne, quand j’entends corriger cette engeance.
En former seulement le vœu,
C’est folie ; elle est incurable.
Arrêtons-nous donc là. — Le fonds de cette fable
Me fut par Rabelais donné ;
Par elle sera terminé
Ce bien modeste et petit livre
Que, non sans trembler, je vous livre.
De sa famille il est l’aîné.
A défaut d’un autre mérite
Qui près du public l’accrédite,
Il aura celui d’être court :
C’en est un, par le temps qui court
Sur lui tout mon espoir se fonde.
En éclaireur je l’envoie aujourd’hui ;
Riais s’il reçoit bon accueil dans le monde,
Ses frères viendront après lui.
“Le Chien et l’Os”