Sultan, beau lévrier, issu de noble race,
Avait été l’Achille et l’Hector de la chasse :
Mais il se faisait vieux, et ses membres roidis
N’allaient plus à son gré comme ils allaient jadis.
Son maître cependant, par un triste caprice
En exigeait même service
Et voulait qu’il courût à quinze ans comme à six.
C’était d’une horrible injustice.
Mais quand un maître parle, il faut qu’on obéisse.
Tel est l’ordre. Un jour donc que le maître et le chien
Poursuivaient un renard fourvoyé dans la plaine,
De quelques grains de plomb le renard fut atteint.
Pille, pille, Sultan ! Sultan court, mais en vain.
Il n’a plus assez d’haleine
Pour la course, et d’un bond dans son étroit terrier
Le mangeur de poulets va se réfugier.
Sultan revient tête basse,
Et son maître furieux
L’injurie et le menace
Et le frappe de son mieux.
Sultan dit : votre colère
N’est pas juste ; j’ai dix ans
Servi vous et votre père
De mes pieds et de mes dents.
J’ai de lapins et de lièvres
Fourni votre table à tous
Et sauvé moutons et chèvres
De la poursuite des loups.
Maintenant que l’âge avance,
Je reçois pour récompense
Des injures et des coups.
J’espérais un sort plus doux
De votre reconnaissance.
Sultan avait raison, bien raison… mais, hélas !
De quoi sert la raison, ou même l’éloquence,
Lorsque l’on parle à des ingrats ?
“Le Chien et son Maître”