Louis de Puget
Physicien, poète et fabuliste XVIIº – Le Chien politique
Un grand mâtin, fort bien dressé,
Chez un boucher de connaissance
D’un pas diligent et pressé,
Portait souvent tout seul un panier par son anse :
Le boucher l’emplissait, avec fidélité,
Des mets les plus friands qu’il eût dans sa boutique ;
Et le matin, malgré son ventre famélique,
Les portait à son maître, en chien de probité.
Toutefois il advint qu’un jour un certain dogue
Fourra dans le panier son avide museau
Et d’un air insolent et rogue
En tira le plus gros morceau.
Pour le ravoir, sur lui notre matin s’élance.
Le dogue se met en défense ;
Et pendant qu’ils se colletaient,
Se mordaient et se culbutaient,
De chiens une nombreuse et bruyante cohue
Fondit sur le panier, des deux bouts de la rue.
Le matin s’étant aperçu,
Après maint coup de dent reçu,
Qu’entre tant d’affamés la viande partagée
Serait bientôt toute mangée,
Conclut qu’à résister il n’aurait aucun fruit.
Il changea donc soudain de style et de méthode,
Et, devenu souple et commode,
Prit sa part du butin, qu’il dévora sans bruit.
Ainsi, dans les emplois que fournit la cité,
Tel des deniers publics veut faire un bon usage,
Qui d’abord des pillards retient l’avidité,
Mais après s’humanise et prend part au pillage.
“Le Chien politique”
1. Nouvelles œuvres inédites de La Fontaine, publiées par P. Lacroix, 1868, p. 115-117.