Victorin Fabre
Homme de lettre, poète et fabuliste XVIIIº – Le Chien pendu
Le chirurgien Tranche, adroit praticien
En matière expérimentale,
Allait pour le profit de l’art et pour le sien,
A l’aide du scalpel, consulter un gros chien
Sur la vie organique et la vie animale.
Le mâtin, franc bulot, qui prisait comme rien
La science, et l’honneur d’être utile, au moyen
De l’incision cruciale,
Prend son temps, et d’un saut fait au chirurgien
Certaine incision dentale
Qui n’était pas du tout dans les règles de l’art.
L’opérateur mourut. Voilà mon chien pendard
En cour de parlement : témoins ouïs, sentence
Qui le condamne à la potence.
Le chien ne souffla mot, mais l’avocat du chien,
Pour gagner son argent, criait : « Miséricorde !
Se peut-il que les lois placent un citoyen
Entre l’exécuteur et le chirurgien,
Entre le scalpel et la corde !
S’il se refuse à mordre, il sera pourfendu ;
On le suspend pour peu qu’il morde!
Faut-il être incisé pour n’être pas pendu ? »
Un sage magistrat, ce discours entendu,
Vint à se demander, par excès de prudence,
Après le jugement rendu,
Si mener pendre un chien pour s’être défendu
Pouvait se faire en conscience.
Il douta. Sur ce doute informant un peu tard,
Monsieur le conseiller ouvre plus d’un volume:
Fouille vingt fois le Code et vingt fois la Coutume,
Pour y trouver un chien passible de la hart.
Le Chien pendu, Victorin Fabre