Fables du bonhomme de la vallée du Perche :
Qu’il est touchant le cortège funèbre
De l’homme simple, ami de la vertu !
Un orateur célèbre,
Au ton sévère, au regard abattu,
Ne place point son nom au temple de Mémoire !
Qu’importe ! une telle gloire
N’est, ici-bas, que transitoire,
Mais les soupirs, les sanglots et tes pleurs,
Le déchirement des cœurs,
Ce langage éloquent, naïf de la nature,
Qui dure.
Laissons donc, sans regrets, à l’homme ambitieux
Ses crêpes, ses blasons, entourage orgueilleux
Qui passe ;
Ce dais, surchargé d’or, qui, de son poids écrase
La vanité…..
Et réclamons de la simplicité
La fervente prière
Qui, sur la bière,
Se mélange aux fleurs des champs.
Fasse le Ciel qu’à mon heure dernière,
Lorsque, pour moi, s’évanouiront les temps,
Une bien douce voix redise mots touchans !
Mots du cœur, accens de l’âme,
Mystérieux talismans…
Ou plutôt vive flamme
Qui, perçant la nuit du tombeau,
Éclaire la fin de la route
Qui commence au berceau !
Pauvre pèlerin, je redoute
L’isolement
Dans ce moment
Où la nature
Murmure
Le chant des morts…
Mais si je m’endors
Sur le sein d’une sœur chérie,
Si sa bouche aspire ma vie,
Alors
Du champ où reposent mes pères,
Sans nul regret, je franchirai le seuil ;
El sur mon linceuil
Couleront larmes amères :
Le calme du cercueil
Ne sera point troublé par phrases mensongères :
Et l’eau qui purifie, et du vallon les fleurs
Qu’effeuilleront innocentes bergères,
Seront les honneurs
Que j’attends et réclame.
Ainsi je ne viens point décrire le convoi
D’une puissante dame.
— Pourquoi !
— Je vous l’ai dit : la pompe,
Par son deuil affecté,
Jamais ne trompe
L’ami de la simplicité.
Je ne vais point à sépulture
Où la nature
Abjure
Ses nobles droits !
Je n’aime pas douleur coquette,
Ni de l’étiquette
Les pleurs payés et froids :
Je ne veux pas que le prêtre seul prie
Pour la défunte seigneurie…
Je reviens donc à mes anciens amis.
Sur un brancard de feuillage
Le corps d’une brebis,
Enlevée à la fleur de l’âge,
Allait, sous l’ombre du bocage,
Descendre au tombeau.
Un bélier, un agneau
Époux et fils de la défunte,
Poussaient sanglots qu’un tendre cœur n’emprunte
Jamais.
Quatre brebis, en pliant sous le faix,
Versaient des larmes,
Et rappelaient les charmes
Et les attraits,
Enfin le cœur généreux de la mère
A ses amis, à la bergère
Si chère !
Et qui, sous l’ombrage frais,
Devisant de tendresse,
Faisait aimer la sagesse
Et la vertu : bienfaits
Dont les dieux dotent l’innocence.
Le reste du troupeau
Suivait, en silence,
Le bord de l’eau,
Où, déjà creusé, le tombeau
Attendait la victime…
Une voix unanime,
A l’aspect des noirs cyprès,
Exprime
La douleur et les regrets.
Et non loin de la tombe,
L’agneau chancèle et succombe
Au chagrin ;
Il se roule et s’agite…
Son cœur palpite
Comme brebis sous la main
De l’assassin.
L’époux, couché sur son amante,
Sanglote et se tourmente
En maudissant le destin.
Devant la froide dépouille
Enfin
Chacun prie et s’agenouille…
Le matin
Retrouva brebis fidèles
Effeuillant roses nouvelles
Et romarin,
Sur la tombe où repose
Jeune fleur à peine éclose,
Depuis ce jour de deuil,
L’on dirait que sur le seuil
De la triste bergerie,
La douleur et la rêverie
Ont fixé leur séjour :
Et l’amour,
Dont la voix n’est plus comprise,
N’a point de prise,
Sur les cœurs d’alentour.
Lors, plus de ris, plus de jeux au bocage ;
Les pleurs
Des habitans du pacage
Éternisent les douleurs.
“Le Convoi de la Brebis”