Jean François Haumont
Militaire, poète et fabuliste XVIIIº – Le Coq et le Canard
Certain coq, avec un canard,
Un jour se trouvant par hasard,
Firent ensemble la partie
De voyager de compagnie ;
Marcher tout seul est ennuyeux ;
On s’amuse quand on est deux.
Apprenez, dit le coq, que loin dans la campagne,
Il est un beau pays, que l’on nomme Cocagne :
Ce mot est fait pour engager ;
C’est un plaisir de voyager :
Venez, bonne chère et bombance,
Seront de nos travaux, le fruit, la récompense.
Bombance est un plaisir bien doux,
Répondit le canard ; partons, je suis à vous :
Quand il s’agit de bonne chère,
Vous savez qu’un gourmand ne la refuse guère.
On part : le coq marchait d’un pas léger ;
Mais voyant du canard l’air et la triste allure,
Tâchez donc, lui dit-il, de vous mieux dégager :
Pressez le pas ; sur ma foi je vous jure,
Que jamais nous n’arriverons.
– Ce sera quand nous le pourrons :
Loin de me savoir gré de cette complaisance,
Vous me grondez d’un air de suffisance ?
J’aurais pu voler lestement ;
Pour vous suivre, je vais à pied modestement ;
Ainsi, l’ami, je suis fort aise
De cheminer tout à mon aise.
Notre coq murmurant,
Marcha plus lentement ;
Il disait en lui-même,
Ma folie est extrême
D’accompagner cet être dodinant ;
Autant vaudrait un animal rampant.
Si jamais je me rengage,
Je saurai mieux choisir compagnon de voyage.
L’aurore du lendemain,
Fit voir une grande rivière
Qui terminait le chemin,
Et suspendit la carrière
De nos fameux voyageurs.
Le coq prêt à verser des pleurs,
Disait, hélas! que puis-je faire ?
J’ai négligé l’art de voler;
De plus, je sais très-mal nager.
– J’en suis fâché pour vous, compère ;
Moi je vole et nage très-bien.
Ce trajet vous fait peur pourquoi donc? ce n’est rien ;
J’imagine un moyen qui ferai notre affaire.
Voyez-vous ce morceau de bois,
Que tout près de l’eau j’aperçois ?
Montez sur ce vaisseau, là vent souffle à la poupe ;
Moi, je gouvernerai la nouvelle chaloupe.
Le coq n’osait s’aventurer :
Son ami sut l’encourager.
L’honneur soutient la bravoure craintive.
Enfin après un peu d’effort,
Ils arrivèrent à bon port
Au pays désiré, situé sur l’autre rive.
Le génie inventif et le plus grand talent,
Sont quelquefois cachés sous la faible apparence.
Défions-nous des gens aux grands airs d’importance :
Leurs cerveaux, le plus souvent,
Ne renferment que du vent.
Jean François Haumont, Le Coq et le Canard