Le Curé et le Mort : commentaires et analyses de MNS Guillon – 1803.
- Le Curé et le Mort.
(1) Un Mort s’en alloit, etc. On remarquera dans les quatre premiers vers une cadence différente , selon l’action qu’ils désignent. Celui qui vient après est d’une mesure plus pompeuse. On en sent la raison ; ce sont les obsèques d’un mort de qualité.
(2) Robe d’hiver, robe d’été, Périphrase heureuse pour exprimer ce dénuement auquel la mort nous abandonne. Voilà donc à quoi se réduit toute la garde-robe de ces riches si fastueux dans leurs équipages !
(3) Monsieur le Mort, laissez-nous faire , est plaisant. Mais sont-ce des plaisanteries qui conviennent sur un fonds aussi sérieux ?
(4) On vous en donnera de toutes les façons , a quelque chose de dérisoire et de très-peu décent de la part d’un ministre des autels; d’ailleurs, comment accorder ces avances si généreuses avec la précipitation qu’on lui suppose dans ce vers ? Il s’en alloit
Enterrer ce Mort au plus vite.
(5) Il ne s’agit que du salaire , ne manque ni de naïveté, ni de finesse ; de naïveté, étant l’aveu de ces honteux tributs imposés sur ceux qui ne sont plus : de finesse , le poète , pour rendre le reproche plus piquant, mettant cette accusation indirecte dans la bouche de celui-là même qu’il suppose en être coupable.
(6) Messire Jean Chouart Rabelais, ” Jean Chouart , à Montpellier , avoit achepté des moynes de sainct Olary unes belles décrétales, etc. ( Pantagr, L. IV. ch. 52. t. IV. p. 215. Voy. aussi t. II. p. 108. note. ) J. B. Rousseau emprunte la même dénomination dans une de ses épigrammes
Vois-tu bien la messire Jean Chouart. (L. IV.épigr. 10. )
Un mort s’en allait tristement
S’emparer de son dernier gîte ;
Un Curé s’en allait gaiement
Enterrer ce mort au plus vite.
Notre défunt était en carrosse porté,
Bien et dûment empaqueté,
Et vêtu d’une robe, hélas ! qu’on nomme bière,
Robe d’hiver, robe d’été,
Que les morts ne dépouillent guère.
Le Pasteur était à côté,
Et récitait à l’ordinaire
Maintes dévotes oraisons,
Et des psaumes et des leçons,
Et des versets et des répons :
Monsieur le Mort, laissez-nous faire,
On vous en donnera de toutes les façons ;
Il ne s’agit que du salaire.
Messire Jean Chouart couvait des yeux son mort,
Comme si l’on eût dû lui ravir ce trésor,
Et des regards semblait lui dire :
Monsieur le Mort, j’aurai de vous
Tant en argent, et tant en cire,
Et tant en autres menus coûts.
Il fondait là-dessus l’achat d’une feuillette
Du meilleur vin des environs ;
Certaine nièce assez propette
Et sa chambrière Pâquette
Devaient voir des cotillons.
Sur cette agréable pensée
Un heurt survient, adieu le char.
Voilà Messire Jean Chouart
…………………
(7) Couvoit des yeux son mort. Métaphore qui peint avec autant de justesse que d’énergie l’avide empressement du curé à garder une dépouille de laquelle doit éclore une riche rétribution.
(8) Monsieur le Mort, j’aurai de vous, etc. La Fontaine ne se permet pas ordinairement ces répétitions, qui prolongent inutilement le récit, sans ajouter à l’intérêt. Nous passons sur les vers suivants, dont il seroit très-superflu de faire sentir le sel épigrammatique.
(9) Coûts, dépenses, ce que coûte une chose. Villon ( 2e. partie ) p. 63 :
Mais regardons à peu de coultz.
(10) Un heurt survient. Pour choc. Ce terme banni du langage moderne n’est pas commun dans l’ancien. Il se retrouve (f. 2.Liv. V. et Liv. X. f. 1. V. à cette dernière fable, note 25.)
Il seroit possible que La Fontaine eût puisé l’idée de cette caricature dans ces vers d’un ancien poète français.
Trois choses sont surtout d’accord,
L’église, la court et la mort.
(Voyez Recueil de P. Grosnet, p. 135. Henri Etienne, Apolog. pour Hérodote, ch. 39. T. III. p. 399. Ou bien dans la Danse des Morts du fameux Holben.) (Le Curé et le Mort )