Jean de La Fontaine
Poète, moraliste et fabuliste XVIIº – Le Dragon à plusieurs têtes…
Le Dragon à plusieurs têtes et le Dragon à plusieurs queues.
Un Envoyé du Grand Seigneur
Préférait, dit l’Histoire, un jour chez l’Empereur,
Les forces de son Maître à celles de l’Empire.
Un Allemand se mit à dire :
Notre prince a des dépendants
Qui de leur chef sont si puissants
Que chacun d’eux pourrait soudoyer une armée.
Le Chiaoux, homme de sens,
Lui dit : Je sais par renommée
Ce que chaque Électeur peut de monde fournir ;
Et cela me fait souvenir
D’une aventure étrange, et qui pourtant est vraie.
J’étais en un lieu sûr, lorsque je vis passer
Les cent têtes d’une Hydre* au travers d’une haie.
Mon sang commence à se glacer ;
Et je crois qu’à moins on s’effraie.
Je n’en eus toutefois que la peur sans le mal.
Jamais le corps de l’animal
Ne put venir vers moi, ni trouver d’ouverture.
Je rêvais à cette aventure,
Quand un autre Dragon, qui n’avait qu’un seul chef
Et bien plus d’une queue, à passer se présente.
Me voilà saisi derechef
D’étonnement et d’épouvante.
Ce chef passe, et le corps, et chaque queue aussi.
Rien ne les empêcha ; l’un fit chemin à l’autre.
Je soutiens qu’il en est ainsi
De votre Empereur et du nôtre.
Commentaires de Chamfort – 1796.
La plupart des fables et des contes ont fait le tour du globe. La Fontaine met en Europe la scène où il suppose que fut fait le récit de cette aventure, récit que les Orientaux mettent dans la bouche du fameux Gengiskan, à l’occasion du Grand Mogol, prince qui dépendait en quelque sorte de ses grands vassaux. Au surplus, ce récit ne peut pas s’appeler une fable ; c’est une petite histoire allégorique qui conduit à une vérité morale. Toute fable suppose une action. (Le Dragon à plusieurs têtes et le Dragon à plusieurs queues)
Analyses de MNS Guillon – 1803.
Dragon. Dans toutes les langues orientales , il est fait mention du Dragon, sans qu’il soit encore bien décide s’il existe ou non. Les descriptions ridicules, d’ailleurs si peu constantes, qu’en ont fait la plupart des auteurs, donnent lieu de croire que c’est un être imaginaire. Disons cependant qu’on a peut-être donne indistinctement le nom pompeux de Dragon aux animaux monstrueux du genre des Serpents, des Lézards, des Crocodiles, que l’on a trouvés en différents temps, et qui ont paru extraordinaires par leur grandeur ou par leur figure.
(1) Le Chiaoux, officier de la porte du Grand-Seigneur, qui fait l’office d’huissier. Il porte des armes offensives et défensives ; il assigne les particuliers pour accommoder leurs différents ; et les prisonniers de distinction sont confiés à sa garde. Le Grand-Seigneur a coutume d’en choisir quelqu’un de ce rang pour envoyer en ambassade vers les autres puissances.
« La plupart des fables et des contes, ont fait le tour du globe. La Fontaine met en Europe la scène, où il suppose que fut fait le récit de cette aventure, récit que les Orientaux mettent dans la bouche du fameux Gengiskan, à l’occasion du Grand -Mogol, prince qui dependait en quelque sorte de ses grands vassaux. Au surplus, ce récit ne peut pas s’appeler une fable; c’est une petite histoire allégorique, qui conduit à une vérité morale.» Champfort. (Le Dragon à plusieurs têtes et le Dragon …)